Un nouveau triomphe de la « guerre à la drogue »
Toulouse, chambre des comparutions immédiates, février 2023
João B., 19 ans, et Ensio L., la trentaine, sont Néerlandais et comparaissent pour « transport non autorisé de stupéfiant ». Ils ont ingéré des ovules de cocaïne en Guyane et ont ensuite pris l’avion jusqu’à Paris Orly, puis le train pour Toulouse. Lors d’un contrôle, les douanes ont découvert des ovules déjà expulsés dans un de leurs sacs. À l’hôpital, le scanner a révélé plus d’une centaine de capsules dans leur organisme, c’est-à-dire plus d’un kilo cocaïne chacun.
La présidente résume le mince dossier policier pendant que l’interprète traduit : ils ont été recrutés à Amsterdam et auraient accepté de transporter la cocaïne pour 1500 €. La géolocalisation du téléphone d’Ensio L. a permis d’établir plusieurs allers-retours depuis la Guyane. Il a finalement reconnu avoir transporté de la cocaïne à 4 reprises.
Par peur des représailles, ils n’ont donné aucune information sur les commanditaires et l’enquête semble s’être arrêtée là.
— Veulent-ils s’expliquer sur ces faits ?
Les deux prévenus préfèrent garder le silence. Quelques minutes gagnées pour la présidente, qui peut passer directement à « l’examen de la personnalité » des prévenus : casier judiciaire et lecture en diagonale de l’enquête sociale rapide.
Aucun des deux n’a de mention sur son casier, ni de condamnation connue aux Pays Bas.
— João B., vous vivez chez votre père aux Pays-Bas. Vous êtes au lycée, vous voulez vous former dans la restauration. Vous travaillez pour payer vos études dans un magasin de matériaux de construction. Vous avez une compagne depuis 5 mois.
— J’ai une belle vie aux Pays-Bas. Je ne vais jamais recommencer.
— Ensio L., vous êtes titulaire d’un CAP coiffure et vous avez un diplôme d’aide-soignant. Vous travaillez en intérim en tant que tel . Vous êtes célibataire et habitez chez votre grand-mère. Vous êtes soigné pour des problèmes de santé. Veut-il ajouter quelque chose ?
— Non
Son avocat intervient pour qu’on l’interroge plus précisément sur son travail. Questionné par la présidente, Ensio L. semble un peu pris de court :
— Je travaille aux soins palliatifs. J’aide les personnes qui vont mourir pendant les derniers mois et j’accompagne aussi leur famille.
Le procureur commence ses réquisitions :
— Ces deux personnes ont agi pour de l’argent ! Ils ont amené en France plus d’un kilo de drogue dure. [Sa voix vibre.] C’est une drogue dangereuse, et ils le font en toute connaissance de cause. L’affaire Palmade nous rappelle d’ailleurs les dangers de la consommation de cette drogue et la responsabilité des gens qui la transportent.
Il demande 18 mois fermes pour João B., 30 mois pour Ensio L., et pour tous les deux, le maintien en détention « pour éviter le renouvellement de l’infraction », ainsi qu’une interdiction du territoire français pendant 5 ans.
L’avocat de João B. s’avance :
— On parle de leur responsabilité, mais il y a surtout la responsabilité de celui qui achète. Alors que celui qui transporte prend tous les risques : il peut mourir si une bonbonne se perce dans son estomac, et pour lui on requiert 18 mois de prison. Il n’a que 19 ans, il a ingéré des ovules de cocaïne pour 1500 €. Imaginez la misère sociale, la misère intellectuelle qui est la sienne pour faire ce genre de choses !
Il évoque une note du procureur général de Cayenne qui demande aux parquetiers de ne pas poursuivre pour des saisies inférieures à 1,5 kilo de cocaïne.
— Alors, bien sûr qu’il faut sanctionner, parce qu’en métropole, ça ne se passe pas tout à fait comme à Cayenne. Mais 18 mois de prison là où, à 3000 km, on ne poursuit plus, ça me paraît excessif.
L’avocat de Ensio L. explique que même s’il est inséré, qu’il travaille « avec des gens qui meurent devant ses yeux », il a beaucoup de dettes et « une maladie qui impose un traitement médicamenteux lourd » – c’est à peine plus précis que les « problèmes de santé » évoqués par la présidente.
— Voilà la misère des hommes qui sont exploités dans ce système, qui se trimballent avec leurs excréments dans leur valise !
Son client n’ayant jamais été condamné, une peine de prison avec sursis est possible.
— Ce serait une solution intelligente pour un dossier pour lequel on n’a pas grand-chose. Pour un homme qui représente ce qu’il y a de plus misérable dans la société.
Silencieux jusqu’alors, Ensio L. a des choses à dire avant que le tribunal se retire délibérer :
— Vous m’avez demandé tout à l’heure si je voulais ajouter quelque chose sur moi-même. Je n’ai pas répondu parce que j’avais honte. Mais je voudrais effectivement dire des choses.
Il parle longuement, l’interprète semble dépassée et ne parvient qu’à traduire des bribes, d’ailleurs si bas qu’on n’entend rien dans le public. Elle laisse finalement échapper un rire nerveux et adresse un geste d’impuissance à la présidente, qui annonce la suspension d’audience. Le tribunal se retire délibérer.
Les deux prévenus sont déclarés coupables et condamnés à 18 mois et 30 mois de prison, avec maintien en détention et interdiction du territoire pendant 5 ans. À l’annonce de la peine, les deux avocats s’avancent vers le box pour échanger quelques mots avec leurs clients :
La présidente s’impatiente :
— Est-ce que vous pouvez vous entretenir avec vos clients à la geôle ? Parce que l’audience est déjà beaucoup trop chargée.
On les emmène.