Les aménagements de peine

Les aménagements de peine

Les aménagements de peine sont censés favoriser la réinsertion des personnes condamnées en leur permettant d’exécuter tout ou partie de leur peine sous une autre forme que l’incarcération : liberté conditionnelle, semi-liberté, placement à l’extérieur ou bracelets électroniques, autant d’« alternatives à l’incarcération » qui ne bénéficieront cependant que rarement aux personnes les plus précaires.

En comparution immédiate, de plus de plus de personnes sont condamnées à effectuer de la détention à domicile. À y regarder de plus près cependant, le bracelet électronique vient souvent remplacer le travail d’intérêt général ou le sursis probatoire plutôt que de se substituer à la prison. Si bien que le nombre de détenu·es et celui des personnes sous bracelet augmentent de concert.

Ressources évoquées dans l’émission :
Deux chroniques de La Sellette : Esprit d’entreprise et La clémence du tribunal
Camille Polloni, Le juteux marché du bracelet électronique confié à Thales

Pour l’aménagement, vous repasserez

Pour l’aménagement, vous repasserez

Un monsieur qui s’est fait voler son paddle gonflable a retrouvé son bien en vente sur Internet. Faisant mine de vouloir l’acheter, il a donné rendez-vous au vendeur sur un parking après avoir contacté les policiers. Quatre agents de la BAC sont intervenus à l’arrivée de Sofiane T.

En les voyant, le jeune homme est rentré précipitamment dans sa voiture. En enclenchant la marche arrière, il a percuté un véhicule en stationnement, avant d’emboutir une voiture de police. Les quatre policiers ne l’ont interpellé qu’avec difficulté.

Si bien qu’aujourd’hui, Sofiane T. comparait pour cinq délits : recel de bien provenant d’un vol, dégradation d’un véhicule policier et de la voiture d’un particulier, rébellion, mise en danger d’autrui et conduite sans permis, le tout en récidive.

La présidente tient beaucoup à savoir pourquoi il a tenté de s’enfuir.

— J’ai vu un homme avec une arme, sans brassard de police. J’ai eu peur, et avec l’instinct de survie je suis remonté dans la voiture. Il y a un contrat sur moi. J’ai failli mourir il y a peu de temps. Depuis, c’est compliqué pour moi, je vois un psy.

Il explique avoir été victime d’une tentative de meurtre en bande organisée quelques semaines auparavant, la voiture dans laquelle il se trouvait ayant été arrosée de plusieurs rafales de balles. Étonnamment, la présidente hoche la tête. L’histoire doit être connue, parce qu’il n’est pas dans les habitudes des magistrats de croire les prévenus.

— Mais alors, quand est-ce que vous avez compris que c’était des policiers ?

— Quand ils m’ont sorti du véhicule.

— Pourquoi avez-vous continué à vous débattre ?

— J’étais tendu et en état de stress.

— Et ça se justifie, ça, d’être stressé, alors que vous voyez que c’est la police ?

Sofiane T. répond posément qu’ayant eu peur pour sa vie et celle de ses passagers, il lui fallait un peu de temps pour que le stress redescende. Il explique ensuite avoir acheté le paddle à des connaissances pour 30 € sans savoir qu’il était volé. Ce qui suscite un commentaire ironique du procureur : « Et vous n’avez pas été interpellé par la faiblesse du prix ? »

Sofiane T. a été mis en prison pour la première fois à 17 ans. À 20 ans, il a été condamné à 6 ans d’incarcération pour de très nombreuses petites peines avec sursis, qui sont tombées comme des dominos : vol, vol aggravé, outrage, menaces de mort, évasion pendant une permission.

Sorti de prison il y a quelques mois, il explique qu’il est allé s’installer chez sa mère à la campagne pour s’éloigner de son ancien quartier et de ses fréquentations de l’époque.

— J’ai pas choisi le bon chemin quand j’étais plus jeune. Concrètement je suis entré en prison à 17 ans. J’ai rencontré mes petites sœurs seulement en sortant.

— Oui, bon, c’est vous le responsable de votre situation tout de même. Et pourquoi vous retournez dans le quartier où vous vous êtes fait tirer dessus ?

— Ma grand-mère habite dans ce quartier depuis 37 ans. Elle a 94 ans. Elle est très vieille, elle peut mourir ! D’autant qu’en ce moment, il y a le covid.

Est-ce que la présidente commence à s’émouvoir ? En tout cas, elle lui parle de plus en plus poliment. Mais, parce qu’on n’est quand même pas là pour s’attendrir sur un garçon qui aime bien sa grand-mère, le parquet y met bon ordre avec des questions malveillantes sur la manière dont s’est passée la détention :

— On m’a refusé six aménagements de peine. Même si j’avais une promesse d’embauche, comme c’était dans la boite de mon père, ils disaient que c’était un contrat de complaisance. Alors que mon père ne s’est jamais occupé de moi ! Il ne m’a jamais soutenu, jamais reconnu !

Et qu’est-ce que le garçon a à dire de ses infractions commises en détention ?

— J’ai été condamné une fois pour menace et une fois pour détention d’objet. Mais je n’ai pas fait entrer d’objet. J’ai acheté des objets qui étaient déjà en prison : un climatiseur et une console.

— Oui, bah c’est interdit par le règlement. Il y a aussi des outrages à magistrat. Ça dit des choses sur votre personnalité.

— Tout le monde peut changer. Regardez, je suis calme, posé, je parle tranquillement.

Après les avocates des policiers qui demandent 1 000 € pour leur préjudice moral, c’est au parquet de faire ses réquisitions :

— Il y a tout de même eu cinq infractions dans un temps très court, dont recel en récidive, ce qui lui fait encourir 10 ans de prison !

Sans s’appesantir sur cette sombre histoire de paddle gonflable, il annonce que toutes les infractions sont caractérisées et que, comme toujours, les faits sont très graves ! D’autant plus qu’on ne peut pas faire confiance à quelqu’un qui a un casier judiciaire pareil :

— Il dit aller voir un psy, ce qui traduirait une prise de conscience, mais il n’y a aucun élément dans le dossier pour en attester.

La conclusion s’impose : il demande 12 mois d’emprisonnement avec maintien en détention.

L’avocat de la défense commence sa plaidoirie :

— Je ne m’attarderai pas sur le recel : les faits sont assez anecdotiques. Je suis ravi de voir que pour un vol de paddle, la police se déplace immédiatement et déclenche une planque.

Il rappelle au tribunal qu’ils ont à faire à « un gamin de 26 ans qui sort tout juste de prison ».

— Et qu’est-ce qui a déclenché la mise à exécution de tous les sursis ? C’est un vol avec effraction d’une buvette de pétanque ! Pendant toutes ses années, la seule autorisation de sortie dont il a bénéficié, c’était pour les funérailles de sa compagne. À cause d’incidents survenus en détention, on lui a refusé plusieurs aménagements de peine et, après plusieurs années de prison, il sort en juillet dernier sans aucun accompagnement.

L’avocat ne conteste pas la durée de la peine mais plaide pour un aménagement, notamment parce que ça le mettrait en danger de l’envoyer à Seysses :

— Depuis qu’il est accusé d’avoir balancé dans un dossier de stupéfiant, il est l’objet de menaces. Même à la geôle, on ne le met pas avec les autres. J’ai moi-même vu des captures de posts snapchat pour dire qu’il va arriver à Seysses et qu’il est temps de s’occuper de lui.

L’avocat propose une détention à domicile : Sofiane T. exécuterait sa peine sous forme de bracelet électronique chez sa mère, dont il est proche.

— D’ailleurs, dans sa famille, ils sont tous intégrés, c’est une famille parfaitement honnête ! Il faut lui donner les moyens de passer à autre chose. Il n’obtiendra jamais d’aménagement du juge d’application des peines, pour les mêmes raisons qu’il n’a pas eu d’aménagement de peine quand il était à Seysses.

Quand on lui redonne la parole après les délibérations, Sofiane T. fait une dernière tentative pour faire comprendre sa situation au tribunal :

— Je regrette. Et j’ai besoin d’aide. Dehors des gens donnent de l’argent pour qu’on me fasse du mal. En prison, je ne peux pas sortir en promenade, faire de formation, du sport ou de la rééducation : on me donne neuf dolipranes par jour parce que je n’ai pas accès aux soins.

Après une suspension le tribunal revient annoncer que Sofiane T. est condamné à 8 mois d’emprisonnement avec maintien en détention. Il devra en outre donner 800 € à chacun des policiers. Avant de passer au dossier suivant, la présidente fait mine de le rassurer :

— Pour l’aménagement, vous pourrez toujours essayer de le demander au juge d’application des peines.

On le ramène aux geôles, où il attendra d’être conduit à Seysses le soir même.

« Et pourtant vous travaillez ! »

« Et pourtant vous travaillez ! »

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, juillet 2021

João T., à peine plus de trente ans, est né au Portugal. Il est jugé pour des faits de violences conjugales commis en mars et pour des appels téléphoniques malveillants survenus depuis. Il arrive de la prison de Seysses, où il est en détention provisoire depuis un mois pour avoir transgressé le contrôle judiciaire qui lui interdisait de rentrer en contact avec son ancienne compagne.

La présidente rappelle d’abord les faits qui ont conduit à cette interdiction :

— Le 19 mars, vous vous êtes disputés. Madame souhaitait partir du domicile parce que vous étiez alcoolisé. Vous l’avez retenue par le poignet. C’est son fils de cinq ans, qui a réussi à quitter la maison et à prévenir les voisins, qui appellent les policiers. Quand ils arrivent, ils la trouvent en pleurs, une entorse au poignet, un hématome sur la pommette. Elle-même vous a donné un coup de poing. Vous avez déclaré en garde à vue qu’elle était instable, qu’elle vous avait frappé, qu’elle fait des crises. Je vous cite : « Je ne l’ai pas violentée, je l’ai peut-être poussée. La différence, c’est qu’elle, elle marque. » Qu’avez-vous à dire sur les faits ?

João T. explique que la dispute a commencé alors qu’ils faisaient les comptes, il évoque le fils de sa compagne, qu’il aime beaucoup, et sa frustration, « parce qu’on n’arrête pas de payer et qu’on travaille tout le temps ». Il parle longtemps mais, dans le public, on peine à comprendre ce qu’il dit parce qu’il parle mal français et qu’il n’y a pas d’interprète. Imperturbable, la présidente continue le récapitulatif des faits : à la suite des violences de mars, João T. a eu l’interdiction de contacter sa compagne et de se présenter à son domicile. Et pourtant il lui a passé 1 600 appels et textos en trois mois.

— Pourtant vous n’avez jamais été condamné auparavant, vous êtes honnête, vous travaillez !

Elle a l’air ébahi. Comme s’il était inconcevable d’être violent avec sa femme quand on n’était pas au chômage.

— Et le contenu des textos est injurieux et humiliant. Il n’y a pas un seul jour où vous la laissez tranquille.

Elle lit quelques messages : « Tu fais ce que je veux », « Pourquoi as-tu fermé les volets ce soir ? », « Je rentre chez toi quand je veux ». De fait, il a essayé : sur la caméra installée par la victime, on le voit escalader, franchir la barrière et essayer de passer la tête par-dessous le rideau métallique.

Sur les faits, João T. n’a pas grand-chose à dire.

— Je veux juste partir. Je veux juste travailler, je travaille tout le temps, j’ai travaillé toute ma vie.

Il touche une corde sensible : les « éléments de personnalité » évoqué par la présidente en parlent en effet beaucoup :

— Vous travaillez, vous êtes en France depuis dix ans ; vous avez un CDI de plaquiste ; mais malgré une insertion irréprochable, vous n’arrivez pas à vous maîtriser suite à une séparation.

Le procureur rappelle que les faits sont accablants :

— Monsieur T. est placé sous contrôle judiciaire le 21 mars ; or, dès le 22, il soumet madame à ses assauts. Et le 8 juin, on le retrouve devant le domicile avec ses parents, vociférant.

Pourtant, il ne peut s’empêcher de partager la perplexité de la présidente sur le profil de João T. :

— C’est d’autant plus surprenant qu’il est bien intégré et que son casier judiciaire est vierge.

Il demande douze mois dont six de sursis probatoire, obligation de soin et de travail, interdiction de rentrer en contact avec la victime et de se présenter à son domicile, et maintien en détention.

Pour finir c’est à l’avocate de la défense de rappeler que João T. travaille et qu’à ce titre « c’est quelqu’un de bien ».

Le tribunal le condamne à douze mois de prison, dont huit de sursis probatoire pendant deux ans ; avec obligation de soin et de travail, interdiction de rentrer en contact avec la victime (à qui il doit verser 800 € de préjudice moral) ou avec son fils. Néanmoins, la présidente ordonne l’aménagement de la partie de prison ferme : João T. sera en semi-liberté. Il va pouvoir continuer à travailler.