Esprit d’entreprise

2 juin 2021 | Chroniques d’audience

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, octobre 2020

Thomas S., qui se tient  un peu voûté dans le box, est un prévenu atypique : c’est visiblement un jeune homme de bonne famille. Ses parents sont dans la salle ; vêtements et coupe de cheveux impeccables, chaussures cirées et chemises repassées, tout indique l’aisance. Pour l’heure, ils sont en plein désarroi. Leur enfant comparaît pour trafic de stupéfiants.

Jeté un an plus tôt hors de chez ses parents qui étaient dépassés par sa consommation de cannabis, il s’est installé dans un mobile home où il vendait de l’herbe sur Snapchat.

Au tribunal, l’ambiance est bon enfant et la présidente note les efforts de marketing déployés par le prévenu sur le réseau social :

— Ça ne manque pas de couleur et de fantaisie ! Elle lit : « Les frontières sont fermées, mais pas de pénurie chez nous ! » ; « Dix grammes achetés, dix grammes offerts aux dix premiers clients ! »

Thomas S. interrompt son activité en juin 2020, mais trop tard : il est déjà dans le collimateur des gendarmes. Entendu dans le cadre de l’enquête, il reconnaît les faits spontanément et explique aux forces de l’ordre où et comment il se fournit. Lors de la perquisition, on ne trouve chez lui que 3 g et 249 €.

Quatre mois plus tard, à l’audience, le jeune homme semble en pleurs, pour autant qu’on puisse en juger, étant donné que le masque lui mange la plus grande partie du visage. La présidente l’interroge avec une douceur qui tranche avec la manière dont elle s’est adressée au prévenu de l’affaire précédente.

Certes, elle marque sa réprobation en rappelant d’un air sévère que les gens choisissent habituellement de travailler plutôt que de vendre de la drogue. Mais dans l’ensemble l’échange est tranquille, voire bienveillant, même quand on en vient à évoquer sa précédente condamnation à 6 mois d’emprisonnement avec sursis.

Le dialogue se déroule sans accrocs :

— Vous dites avoir eu une enfance heureuse, vous disposez d’un bac pro lunetterie. Où en êtes-vous d’un point de vue professionnel ?

— J’ai fait plusieurs stages, je cherche actuellement du travail.

— À quand remonte votre dernier emploi ?

— L’année dernière.

— Vous dites avoir une copine depuis deux ans ?

— Oui. Je voudrais retourner dans ma famille pour avoir un cadre plus sain, redevenir celui que j’étais. Ce n’est pas en continuant comme ça que je vais réussir ma vie. Je n’ai pas envie de tout gâcher.

Le tribunal semble satisfait de ces réponses. Le procureur signale immédiatement que « ce n’est pas le genre de personne qu’on s’attend à retrouver en comparution immédiate ». Il ne se risquera pas à préciser ce qu’il entend par là, mais il ne fait aucun doute que c’est à l’avantage du jeune homme, dont il met immédiatement en avant les capacités entrepreneuriales :

— Il y a du travail sur ce site ; c’est bien fait, les photos sont bien prises. Mis au service d’une activité honnête, ça pourrait donner de bons résultats.

Réalisant sans doute qu’il s’éloigne du sujet, il rappelle néanmoins que la drogue est « un poison », « un problème de santé publique », et agite gravement l’index :

— Le message que je veux faire passer, c’est : « Dernière chance, monsieur, dernière chance. »

Il demande 18 mois de prison, dont 12 de sursis probatoire, ainsi que la révocation du sursis simple, ce qui ajouterait 6 mois à la peine de prison.

L’avocate de la défense adresse des signes rassurants aux parents avant de commencer sa plaidoirie :

— Moi j’ai le sentiment d’un énorme gâchis, à voir là ce gamin de 21 ans, terrorisé à l’idée d’aller en prison, qui regarde ses parents qui se tiennent la main. Un gamin qui a honte, parce que les faits ne lui ressemblent pas. Venant d’une famille structurée et structurante, il tombe dans la drogue, il s’éloigne de sa famille, de son projet, pour finir dans un mobile home.

Tout le monde semble sur la même longueur d’onde. À l’exception de la révocation du sursis, elle se dit satisfaite des réquisitions du procureur et, si le tribunal devait condamner le prévenu à une peine ferme, elle demande à ce qu’elle soit aménagée sous la forme d’un bracelet électronique, et puisse se dérouler chez ses parents, qui acceptent de reprendre leur enfant à domicile.

La présidente, qu’on a connue moins permissive, ne révoque pas le sursis et, fait extrêmement rare en comparution immédiate, accepte d’aménager immédiatement la peine : le jeune homme fera ses 6 mois chez ses parents, avec un bracelet électronique.

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