« Monsieur discute systématiquement »

« Monsieur discute systématiquement »

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, octobre 2023

Abdelmajid H. comparait pour transport et usage de stupéfiants en récidive, ainsi que pour avoir conduit malgré une suspension de permis un véhicule sans assurance.

L’avant-veille, il a été contrôlé par un policier qui a trouvé deux joints sur lui et 93 g d’herbe cachés derrière son siège. Abdelmajid H. ne reconnaît que la possession des joints.

— Pourquoi vous n’avez pas senti l’herbe cachée derrière vous ?

— Peut-être parce que je suis enrhumé. Je ne suis pas fou, je ne me balade pas en plein centre-ville avec de la beuh.

La présidente montre les photos des pochons de drogue fluo :

— Ça se voit tout de même !

— Vérifiez les empreintes, vous verrez qu’il n’y en a aucune à moi. Je ne savais pas qu’il y avait ce pochon. J’ai même proposé d’aider les policiers à fouiller.

— Dans votre téléphone, on a trouvé deux photos de pochons, avec le même packaging.

— Le même quoi ?

— « Packaging ». Ça veut dire « emballage ».

— Vraiment je ne fais pas de trafic.

— Et moi, je n’ai pas de photo de drogue sur mon téléphone !

Pour ce qui est de la suspension de permis en 2019, le prévenu pensait qu’on lui avait redonné son permis, étant donné qu’il avait fait les démarches. Et pour l’assurance, il espérait avoir un délai, le véhicule ayant été acheté la veille. La présidente en a marre de ces explications :

— Mais non ! Bien sûr qu’il n’y a pas de délai. Vous faites prendre des risques aux autres avec un véhicule qui n’est pas assuré. En cas d’accident, l’enfant qui était avec vous aurait pu mourir ou être gravement blessé.

La procureure, elle non plus, n’aime vraiment pas la manie d’Abdelmajid H. de vouloir se défendre :

— Monsieur discute systématiquement toutes les infractions et tous les éléments de la procédure : le motif du contrôle, le fait que son permis de conduire ne soit plus valable, le défaut d’assurance…

Elle ricane :

— Pour l’odeur de la drogue, il prétend être enrhumé ! Comme 95 % des prévenus en comparution immédiate… Ils ont tous le covid ou une grippe ! Et à l’audience, ils reniflent et ils toussent pour bien montrer qu’ils sont malades.

Le prévenu veut répondre, mais il n’est plus temps. La présidente lui ordonne de se taire.

Quand vient son tour, l’avocat trouve que les magistrat⋅es ont habituellement bien raison de ne pas croire les prévenus en comparution immédiate, « parce que vous avez le plus souvent devant vous des justiciables qui s’obstinent à nier l’évidence ». Mais son client, lui, n’est pas comme ça :

— Il n’a rien d’un trafiquant. Sommé de s’arrêter, il s’arrête. Il n’y a pas de signe d’opulence dans ses vêtements. Il ne porte pas de numéraire sur lui. On voit en observant son casier que la majorité des faits ont été commis à la sortie de l’adolescence. Il est préparateur de commande depuis quatre ans : c’est un individu qui a su s’amender partiellement.

Conformément aux réquisitions, il est condamné à six mois de prison, exécutables sous forme de bracelet électronique chez sa mère « pour que le prévenu puisse continuer à travailler ». Son véhicule est confisqué.

« On vous appellera »

« On vous appellera »

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, octobre 2023

Michel B. comparait pour avoir volé un véhicule et pour l’avoir ensuite conduit alors qu’il avait consommé de la cocaïne et que son permis était suspendu.

— Vous reconnaissez à peu près les faits. Qu’avez-vous à dire ?

— Je me suis retrouvé SDF, j’ai tenté plusieurs approches, j’ai demandé de l’aide, je suis allé au centre social et puis j’ai vu cette voiture. Je pouvais rentrer dedans sans rien casser, juste pour dormir. Je n’ai rien dégradé. Je voulais la rendre.

Il explique être à la rue depuis qu’il s’est séparé de sa compagne.

— J’ai dormi à l’hôtel pendant 10 nuits. Mais à 60 € par nuit, je ne pouvais plus. Je suis parti sur Albi en espérant retravailler, pour arrêter les bêtises.

— Ce ne sont pas des « bêtises », ce sont les enfants qui font des bêtises. Ce sont des infractions. Vous faites état de problèmes pour vous loger et pour vous nourrir, mais vous trouvez le moyen d’acheter de la cocaïne.

— C’est exceptionnel, septembre c’est très dur, c’est le mois du décès de mon père, de mon frère, l’anniversaire de ma fille de neuf ans que je ne vois plus.

La présidente est très sceptique :

— En 2022, vous aviez déjà été condamné pour avoir conduit sous stupéfiant. Et vous voudriez nous faire croire que vous ne consommez qu’exceptionnellement !

— Mais en 2022, c’était du cannabis.

— Eh bien, c’est de la drogue, c’est interdit.

La magistrate lit les douze mentions de son casier judiciaire, des affaires de vols ou de stupéfiants pour la plupart, dont certaines remontent à une vingtaine d’années. Elle commente avec un air de reproche :

— Beaucoup de sursis avec mise à l’épreuve et d’injonctions de soins. Ce sont autant de mains qui vous ont été tendues. La dernière peine date d’avril, vous avez été condamné pour des faits similaires à 9 mois de sursis probatoire avec une obligation de soins pour ses addictions.

— Mais je n’ai jamais été contacté, alors que j’ai vraiment besoin d’accompagnement. Le juge de l’application des peines m’a dit : « On vous appellera. » Mais rien.

La présidente est embêtée :

— Peut-être qu’ils ont essayé de vous contacter mais n’ont pas réussi à cause de changements d’adresse ?

— Non, j’ai toujours le même numéro de téléphone.

Un peu gênée, la présidente lit l’avis lapidaire que le JAP s’est tout de même autorisé à donner. Il considère que la mesure est un échec et recommande la révocation totale du sursis.

La présidente fait rasseoir Michel B. et donne la parole à la procureure pour ses réquisitions :

—  J’entends bien les drames qui ont émaillé votre parcours. Mais en avril vous avez été condamné pour des faits similaires. Cela interroge sur le sens que vous donnez aux condamnations judiciaires précédentes. Vous dites que vous avez besoin de soins et de soutien ? On vous l’a donné. Le sursis simple et le sursis probatoire sont des mesures de faveur qu’on vous a accordées malgré les nombreuses condamnations sur votre casier. Mais en six mois, il y a eu deux passages à l’acte. Le temps de la clémence est passé et nous sommes obligés de dresser un constat d’échec.

Elle requiert six mois de prison et le maintien en détention. Elle demande également la révocation de quatre mois de sursis sur les neuf.

L’avocat de Michel B. prend la parole pour sa défense :

— C’est une délinquance de subsistance sur un fond de misère sociale qui montre les difficultés contextuelles. Monsieur vit une période de déshérence sociale depuis plusieurs mois. Par ailleurs il est de santé fragile. En 2018 il a été hospitalisé pendant 11 mois à la suite d’un arrêt cardiaque. Il est en invalidité depuis le mois de janvier. Son état de santé est-il compatible avec la détention à la prison de Seysses ? Quant au sursis probatoire d’avril 2023, 6 mois après, rien n’a été mis en place alors qu’il est en demande. Et pourtant le juge d’application des peines est favorable à sa révocation ! C’est assez dégueulasse ! Michel B. a une piste pour un logement à partir du 20 octobre : vous pourriez donc envisager la détention à domicile. Cela aurait plus de sens que les dix mois de prison demandés par madame le procureur.

Les trois juges se lèvent et partent délibérer. À leur retour, la présidente annonce la peine : Michel B. est condamné à six mois de prison ferme avec mandat de dépôt et le sursis probatoire est révoqué à hauteur de deux mois.

Elle tient à s’expliquer :

— On veut bien croire que le suivi n’a pas été mis en place. Mais la première obligation d’un sursis probatoire est de ne pas commettre de nouvelle infraction. Et vous pouviez vous-même mettre en place des démarches par rapport à ces soins.

Michel B. est emmené. À la fin de l’audience, il partira pour 8 mois à la prison de Seysses.

Un garçon chanceux

Un garçon chanceux

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, octobre 2023

Adama F., né en 2002 à Toulouse, comparaît pour avoir vendu deux demi-grammes de cocaïne, ce qu’il a reconnu en garde à vue.

— Qu’avez-vous à dire sur les faits ?

— J’ai fait un an de prison, je suis sorti il n’y a pas longtemps, mais mon père m’a mis dehors et…

— On évoquera votre situation plus tard. On parle des faits, là. Éducateur, service pénitentiaire d’insertion et de probation, association de réinsertion… Il y a beaucoup de gens qui s’occupent de vous ! Et pourtant vous recommencez à dealer de la drogue.

— Je ne vais pas me laisser mourir de faim.

— Comment penser que ça va s’arrêter ? Vous êtes dans une impasse.

— Je vais entrer dans une formation. Je vais m’inscrire à l’école et…

— Ça, on en parlera après. Vous dormez dehors, dans le quartier des Izards. Vous n’avez pas d’autre domicile ?

— Non.

— Le 21 septembre, vous aviez rendez-vous dans un établissement pour l’insertion dans l’emploi, un EPIDE. Où est-ce que vous étiez ?

— En garde à vue.

— Eh bien oui ! Et le 5 septembre, vous aviez un rendez-vous médico-psychologique par rapport à ce qu’ils appellent votre « fragilité ». Vous n’y êtes pas allé. Pourquoi ?

Le prévenu murmure quelque chose sur son père. La présidente consulte le dossier et confirme que ce jour-là il a subi des violences.

— Mais le 25 septembre, vous deviez voir un psychologue chez le SPIP. Vous n’y êtes pas allé non plus. Comment voulez-vous qu’on vous aide si vous ne vous donnez pas la peine de venir ?

Adama F. commence à raconter quelque chose, puis s’arrête après avoir balayé la salle du regard :

— Je veux bien en parler dans un bureau mais pas devant tous ces gens.

— Je sais qu’il y a eu des problèmes. Je vois dans le dossier que vous avez été placé dans votre adolescence.

Il a plusieurs mentions sur son casier, pour des vols et de la vente de drogue. Sa dernière peine a été aménagée sous forme de bracelet électronique, mais il a dû la finir en prison faute de domicile. Sa tante, qui l’accueillait, l’a mis dehors après s’être fâchée avec sa mère.

— Et à peine sorti de prison, vous avez recommencé à vendre !

— Je dors dehors. Si je n’ai pas d’argent, je mange comment ?

— C’est très grave de vendre de la drogue.

— Je sais que c’est mal ! Mais je fais comment ?

— Est-ce que vous avez conscience de la façon dont vous répondez au tribunal ?

Là-dessus, elle passe la parole à la procureure pour ses réquisitions.

— C’est un début de majorité chaotique. Monsieur T. a tout juste 20 ans et encourt 20 ans de prison ! Des opportunités lui ont été offertes, il n’a pas su les saisir. Au lieu de ça, il participe à la prolifération du trafic de stupéfiants, qui est source de violences en plus d’être un problème de santé publique. DDSE, incarcération, sursis probatoire, on a tout essayé. Quelle peine faut-il choisir pour qu’il comprenne enfin ?

Elle a une idée sur la question : 12 mois de prison avec mandat de dépôt.

L’avocate tient à rappeler les difficultés de son client :

— Il nous dit : « Quand je suis seul, dans la rue, je ne sais plus comment m’en sortir. » Certes, c’est un raisonnement d’adolescent, pas d’une personne raisonnable, mais ce qui est vrai, c’est que si on l’envoie en prison pour 12 mois, il sera dans la même situation quand il sortira. Or, il y a une solution : le rendez-vous qu’il a manqué est rattrapable. Il serait totalement pris en charge dans un internat à l’EPIDE.

Il est condamné à 6 mois de prison sans mandat de dépôt. Un juge de l’application des peines se prononcera donc sur la possibilité d’un aménagement qui lui permettrait d’aller à l’EPIDE. La présidente avertit le prévenu avant qu’il soit ramené aux geôles :

— Dernière chance, monsieur. Vous avez de la chance d’avoir autant d’éducateurs autour de vous.

Les bons mots

Les bons mots

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, juillet 2023

Dès le début de l’audience, la présidente annonce :

— On va suspendre cinq minutes, pour s’associer au mouvement des greffiers, qui sont là, dehors. Je tiens à dire ici l’importance de leur travail. Sans eux, il ne peut tout simplement pas y avoir de justice !

L’affirmation est accueillie un peu fraîchement par une salle remplie de dizaines de personnes venues en solidarité des prévenus arrêtés lors des nuits de révolte qui ont suivi la mort de Nahel Merzouk, tué par un policier.

Présidente, assesseurs, procureure, greffière et huissière sortent de la salle en file indienne pour se joindre pendant quelques instants au rassemblement sur les marches du tribunal. Une manière de manifester leur solidarité sans trop ralentir la belle mécanique des comparutions immédiates, qui reprend à leur retour.

Manuel R. est né en 2000 à Barcelone. Il comparait pour détention de stupéfiant. La présidente résume le procès-verbal de la patrouille de police :

— « Dans le quartier Empalot, avons constaté la présence d’individus sur un banc, et de deux individus à l’écart qui échangeaient quelque chose. » Les policiers indiquent ensuite qu’après leur intervention, le groupe s’est dispersé et qu’ils vous ont vu jeter quelque chose de bleu.

À ce moment-là, les portes de la salle s’ouvrent, et une trentaine de greffiers et greffières revêtu·es de leur robe s’avancent en silence et se positionnent aussi discrètement que possible le long des murs, en tenant des pancartes : « Greffe en perdition », « Greffiers en colère ».

Le prévenu, qui les regarde – comme tout le monde –, se fait rappeler à l’ordre par la présidente :

— Concentrez-vous s’il vous plaît ! Les policiers ont trouvé sur vous un sachet avec 0,3 g de résine de cannabis. Et dans le sachet bleu qu’ils vous ont vu jeter, il y avait 14,5 g de cocaïne. En garde à vue, vous ne reconnaissez pas l’avoir jeté. Vous dites que vous faisiez simplement le « chouf », c’est-à-dire le guet, à cet endroit. Vous faites ça souvent ?

Manuel R. répond sobrement que oui, ça lui est déjà arrivé.

— Il y a deux semaines, vous aviez de la cocaïne – vous allez d’ailleurs passer en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité pour ça –, mais ce jour-là vous dites que vous n’en aviez pas. Comment expliquez-vous que les policiers aient trouvé ce sachet ?

— C’est un point de trafic, il y a des sachets tout autour et ces sachets sont tous les mêmes. D’ailleurs les policiers ont trouvé trois sachets : un transparent et deux bleus.

— Le policier interpellateur se souvient vous avoir déjà contrôlé. Il dit que vous êtes un habitué.

— J’achète là-bas. Et je connais tout le monde, j’y vais pour me poser avec les autres, pas seulement pour travailler.

— Et quand vous dites travailler, c’est… ?

— Faire le chouf

— On a trouvé 90 € sur vous. D’où provient cet argent ?

— Du travail

— Quel travail ?

— Chouf.

— Donc du trafic !

La procureure a, elle aussi, des questions de vocabulaire :

— Quand vous dites que « vous vous posez », ça veut dire quoi ?

— Ça veut dire que je reste tranquille, avec les potes.

— Et quand vous dites : « Je travaille » ?

— Chouf.

— C’est ça, votre travail ?

Manuel R. acquiesce avec lassitude. Assez contente d’elle, la procureure conclut :

— Donc, quand vous dites que vous travaillez, ça veut dire, si je traduis bien, que vous faites le guet !

Après cette parenthèse linguistique, la présidente reprend la main pour énumérer les trois mentions sur le casier judiciaire du prévenu : prison avec sursis pour vol, travail d’intérêt général pour voyage sans titre de transport et six mois de prison ferme pour conduite sans permis sous l’emprise de stupéfiant. La veille, le procureur a décidé de mettre à exécution cette peine qui aurait pu être aménagée. Quoi qu’il arrive, Manuel R. va donc passer 6 mois en prison.

Les greffiers et greffières en colère repartent sur la pointe des pieds pour ne pas perturber le travail de leurs collègues.

La procureure commence ses réquisitions :

— Empalot devient un quartier très problématique en matière de stupéfiant. Je rappelle qu’il y a eu un assassinat l’autre jour rue d’Antibes à l’arme de guerre. C’est un lieu très dangereux. [En s’adressant au prévenu.] Et je le dis en premier lieu pour vous.

Elle lui reproche surtout d’être revenu sur le point de deal alors qu’il s’était déjà fait arrêté deux semaines plus tôt :

— Il n’a visiblement rien compris, il a interprété le fait d’être laissé en liberté comme un signe de faiblesse de la police et de la justice. Il est revenu à ce qu’il appelle son « travail ». Et vraisemblablement, il ne faisait pas que le guet ! Sans doute qu’il vendait aussi – même s’il n’est pas poursuivi pour ça. Depuis l’assassinat de la rue d’Antibes, le milieu des stupéfiants a changé sur Toulouse, des individus en bas de la hiérarchie ont été promus. Il faut le sanctionner sévèrement, parce qu’il ne comprend pas autre chose.

Elle demande 8 mois fermes avec mandat de dépôt, ainsi qu’une interdiction de paraître dans le quartier.

L’avocate s’indigne :

— On ne va pas lui faire endosser entièrement tout le trafic d’Empalot ! Et pourquoi pas le crime de la rue d’Antibes tant qu’on y est ! Vous n’avez pas grand-chose et vous comblez le vide avec des suppositions : « Il a sans doute commencé comme guetteur, mais vu ce qui s’est passé il y a deux mois, je suppose qu’il est devenu vendeur. » Il y avait tout un groupe d’individus, n’importe lequel d’entre eux aurait pu jeter ce sachet de cocaïne. Mon client reconnaît la détention de 0,3 g de cannabis, et c’est tout. Sur la cocaïne, il n’y a aucun élément matériel.

On l’emmène. Le prévenu suivant le remplace dans le box. Après plusieurs affaires, on le remonte des geôles pour lui annoncer la peine qu’il devra effectuer après ses six mois d’emprisonnement : 6 mois de prison avec sursis probatoire et 210 h de TIG, obligation de soin, de travail ou de formation, interdiction de paraître.

Un nouveau triomphe de la « guerre à la drogue »

Un nouveau triomphe de la « guerre à la drogue »

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, février 2023

João B., 19 ans, et Ensio L., la trentaine, sont Néerlandais et comparaissent pour « transport non autorisé de stupéfiant ». Ils ont ingéré des ovules de cocaïne en Guyane et ont ensuite pris l’avion jusqu’à Paris Orly, puis le train pour Toulouse. Lors d’un contrôle, les douanes ont découvert des ovules déjà expulsés dans un de leurs sacs. À l’hôpital, le scanner a révélé plus d’une centaine de capsules dans leur organisme, c’est-à-dire plus d’un kilo cocaïne chacun.

La présidente résume le mince dossier policier pendant que l’interprète traduit : ils ont été recrutés à Amsterdam et auraient accepté de transporter la cocaïne pour 1500 €. La géolocalisation du téléphone d’Ensio L. a permis d’établir plusieurs allers-retours depuis la Guyane. Il a finalement reconnu avoir transporté de la cocaïne à 4 reprises.

Par peur des représailles, ils n’ont donné aucune information sur les commanditaires et l’enquête semble s’être arrêtée là.

— Veulent-ils s’expliquer sur ces faits ?

Les deux prévenus préfèrent garder le silence. Quelques minutes gagnées pour la présidente, qui peut passer directement à « l’examen de la personnalité » des prévenus : casier judiciaire et lecture en diagonale de l’enquête sociale rapide.

Aucun des deux n’a de mention sur son casier, ni de condamnation connue aux Pays Bas.

— João B., vous vivez chez votre père aux Pays-Bas. Vous êtes au lycée, vous voulez vous former dans la restauration. Vous travaillez pour payer vos études dans un magasin de matériaux de construction. Vous avez une compagne depuis 5 mois.

— J’ai une belle vie aux Pays-Bas. Je ne vais jamais recommencer.

— Ensio L., vous êtes titulaire d’un CAP coiffure et vous avez un diplôme d’aide-soignant. Vous travaillez en intérim en tant que tel . Vous êtes célibataire et habitez chez votre grand-mère. Vous êtes soigné pour des problèmes de santé. Veut-il ajouter quelque chose ?

— Non

Son avocat intervient pour qu’on l’interroge plus précisément sur son travail. Questionné par la présidente, Ensio L. semble un peu pris de court :

— Je travaille aux soins palliatifs. J’aide les personnes qui vont mourir pendant les derniers mois et j’accompagne aussi leur famille.

Le procureur commence ses réquisitions :

— Ces deux personnes ont agi pour de l’argent ! Ils ont amené en France plus d’un kilo de drogue dure. [Sa voix vibre.] C’est une drogue dangereuse, et ils le font en toute connaissance de cause. L’affaire Palmade nous rappelle d’ailleurs les dangers de la consommation de cette drogue et la responsabilité des gens qui la transportent.

Il demande 18 mois fermes pour João B., 30 mois pour Ensio L., et pour tous les deux, le maintien en détention « pour éviter le renouvellement de l’infraction », ainsi qu’une interdiction du territoire français pendant 5 ans.

L’avocat de João B. s’avance :

— On parle de leur responsabilité, mais il y a surtout la responsabilité de celui qui achète. Alors que celui qui transporte prend tous les risques : il peut mourir si une bonbonne se perce dans son estomac, et pour lui on requiert 18 mois de prison. Il n’a que 19 ans, il a ingéré des ovules de cocaïne pour 1500 €. Imaginez la misère sociale, la misère intellectuelle qui est la sienne pour faire ce genre de choses !

Il évoque une note du procureur général de Cayenne qui demande aux parquetiers de ne pas poursuivre pour des saisies inférieures à 1,5 kilo de cocaïne.

— Alors, bien sûr qu’il faut sanctionner, parce qu’en métropole, ça ne se passe pas tout à fait comme à Cayenne. Mais 18 mois de prison là où, à 3000 km, on ne poursuit plus, ça me paraît excessif.

L’avocat de Ensio L. explique que même s’il est inséré, qu’il travaille « avec des gens qui meurent devant ses yeux », il a beaucoup de dettes et « une maladie qui impose un traitement médicamenteux lourd » – c’est à peine plus précis que les « problèmes de santé » évoqués par la présidente.

— Voilà la misère des hommes qui sont exploités dans ce système, qui se trimballent avec leurs excréments dans leur valise !

Son client n’ayant jamais été condamné, une peine de prison avec sursis est possible.

— Ce serait une solution intelligente pour un dossier pour lequel on n’a pas grand-chose. Pour un homme qui représente ce qu’il y a de plus misérable dans la société.

Silencieux jusqu’alors, Ensio L. a des choses à dire avant que le tribunal se retire délibérer :

— Vous m’avez demandé tout à l’heure si je voulais ajouter quelque chose sur moi-même. Je n’ai pas répondu parce que j’avais honte. Mais je voudrais effectivement dire des choses.

Il parle longuement, l’interprète semble dépassée et ne parvient qu’à traduire des bribes, d’ailleurs si bas qu’on n’entend rien dans le public. Elle laisse finalement échapper un rire nerveux et adresse un geste d’impuissance à la présidente, qui annonce la suspension d’audience. Le tribunal se retire délibérer.

Les deux prévenus sont déclarés coupables et condamnés à 18 mois et 30 mois de prison, avec maintien en détention et interdiction du territoire pendant 5 ans. À l’annonce de la peine, les deux avocats s’avancent vers le box pour échanger quelques mots avec leurs clients :

La présidente s’impatiente :

— Est-ce que vous pouvez vous entretenir avec vos clients à la geôle ? Parce que l’audience est déjà beaucoup trop chargée.

On les emmène.