Marseille, chambre des comparutions immédiates, octobre 2022
Le prévenu est né en 1980 à Pontoise. Il se tient droit, l’air affable, il présente bien. Il comparaît pour des violences conjugales.
Quand il a appris que son ex-femme avait un nouveau compagnon, il est venu deux nuits de suite à son domicile pour l’espionner – et arracher les fusibles d’un compteur au passage. La deuxième nuit, Sophie T. l’a surpris. Leur fille, sortie elle aussi, a filmé la scène avec son téléphone portable. Le président commente la scène :
— On voit sur la vidéo que vous l’avez attrapée, poussée et frappée contre la voiture, avec des insultes.
Deux mains courantes avaient été déposées en 2015. L’une est accompagnée d’un certificat médical et d’une photo qui montre la victime avec un œil au beurre noir.
— En garde à vue, vous avez contesté les faits de violence. Vous avez dit qu’elle vous avait accusé à tort d’avoir saboté son compteur. Et que vous étiez revenu la nuit pour surveiller que personne ne recoupe le courant. On vous a confronté. Au début, vous avez continué à nier. On vous a ensuite montré la vidéo. On vous entendait distinctement dire : « Si ça se passe mal, je t’égorge. » Et même à ce moment-là, vous avez dit qu’il ne s’agissait visiblement pas de coups francs et que vous vous étiez retenu.
La parole est au prévenu, qui, une fois n’est pas coutume, parle longuement sans être interrompu :
— J’étais dans le déni avant de voir la vidéo. Et pendant la confrontation, elle m’a dit des choses. Je ne pensais pas être ce genre de personne, je ne pensais pas lui avoir fait aussi peur. Je ne pensais pas qu’elle pouvait être sous emprise. J’ai perdu pied. Sophie, c’est la seule personne qui compte pour moi. J’ai été abandonné par ma mère à 14 ans. C’est avec Sophie que j’ai grandi.
Apparemment satisfait, le tribunal ne revient pas sur les faits. L’examen de la personnalité du prévenu fait lui aussi une impression favorable aux magistrats. Sur le casier, il n’y a pas grand-chose : une amende pour recel et un sursis pour vol en réunion qui datent d’il y a 20 ans ; et, en 2015, un outrage contre un agent du transport sur la voie publique. Aujourd’hui, le prévenu est en CDD avec une perspective de CDI.
Il tient à ajouter quelque chose :
— Si j’étais un homme qui bat sa femme, je serais déjà passé au tribunal. Il n’y a d’ailleurs eu aucun problème quand elle est sortie avec un homme plus jeune pendant une de nos séparations. On a tous les deux notre petit caractère, alors bien sûr on se chamaillait. Mais là, qu’elle sorte avec un homme marié, je ne l’ai pas supporté. Je pensais qu’on se remettrait ensemble. C’est 20 ans d’amour, on a parcouru le monde ensemble.
La victime est appelée à la barre pour témoigner. Elle est un peu moins enchantée par les propos du prévenu que les magistrats et relève les petites piques dont le prévenu a parsemé son récit :
— Je sais que ça n’a pas à voir avec l’affaire et que ça ne regarde pas le tribunal, mais je voudrais quand même faire une précision : mon compagnon n’est pas un homme marié, mais un homme en train de se séparer. Je voudrais aussi dire que je n’ai jamais fait preuve de violence physique.
Elle explique aussi que son fils est devenu très agressif avec elle depuis la séparation et que parfois il lui répète des choses insultantes que lui dit son père :
— Mon fils de 9 ans m’insulte, me traite de pute et de cougar. Il n’a pas inventé ça, c’est son père qui lui a dit. Et quand il est en colère, il ne sait pas se contrôler. Si ma fille n’était pas intervenue, ça aurait pu déraper. Ce n’est pas quelqu’un de méchant. Mais il ne sait pas gérer sa colère. J’ai ma part de responsabilité : un couple, ça se fait à deux. Mais il minimise les faits. Je suis blessée qu’il mette beaucoup de choses sur mon dos.
Elle explique avoir voulu retirer sa plainte parce qu’elle ne veut pas qu’il ait des ennuis.
— Je ne souhaite pas me constituer partie civile, je veux juste qu’il ne m’approche plus.
Dans ses réquisitions, le procureur estime qu’« on est dans la complexité humaine ». Chose rare ! Habituellement, le parquet trouve plutôt que « les faits sont très simples ».
— Je veux juste m’assurer que le discours du prévenu est sincère. Je demande 12 mois de sursis probatoire pendant 2 ans, assortis d’obligations qui nous assureront de sa prise de conscience totale, complète et définitive. Pourquoi pas une interdiction de mise en contact ?
Plutôt que de saisir la perche tendu par le parquetier, l’avocate de la défense mise sur une méthode éprouvée : elle renvoie victime et prévenu dos à dos.
— C’est un couple qui est devenu toxique avec les années. Madame a d’ailleurs reconnu avoir griffé monsieur. [La victime lève un bras pour protester, sans succès, son tour est passé] Ma volonté n’est pas de dégrader la partie civile, mais de montrer un comportement de deux personnes qui prennent toutes les deux à partie les enfants. Dans cette affaire, les enfants sont instrumentalisés et sont au milieu de cette dispute conjugale. Interrogé, le petit garçon a dit que ses deux parents étaient à égalité dans la violence.
Elle brode sur le thème introduit par son client :
— Monsieur n’est pas un bourreau. Ils ont été ensemble pendant 20 ans. Et cela fait 7 ans qu’on n’a rien. Je ne dis pas qu’il ne s’est rien passé. Mais tout de même ça s’est bien passé pendant tout ce temps.
Elle s’emmêle un peu mais revient sur un terrain plus stable en parlant de sa parfaite insertion et de ce CDD, qui se transformera en CDI – « Une incarcération serait dramatique ».
Elle demande une obligation de soins pour gérer l’impulsivité de son client et demande au tribunal de « ramener la peine à de plus justes proportions », selon la formule consacrée.
Le prévenu est condamné à 12 mois de sursis probatoire, assorti d’une interdiction de contact et de paraître au domicile de la victime, et d’une obligation de soins. Pour clore l’affaire, le président souligne la grande audace du tribunal, qui n’a pas envoyé le prévenu en prison :
— Vous l’avez compris, c’est un pari qui est fait : s’il y a le moindre faux pas, ce sera l’incarcération !
Bien souvent en comparution immédiate, les victime de violences conjugales sont traitées avec la même désinvolture, voire le même mépris que les prévenus. On ne les laisse pas parler, on ne les croit pas, ou bien on leur reproche de ne pas avoir fait les choses correctement : elles auraient dû partir avant, ou bien elles ont porté plainte trop tard, ou, bien pire au yeux des gens de justice, elles ont retiré leur plainte.