Toulouse, chambre des comparutions immédiates, janvier 2025
Andry M., presque 30 ans, est accusé de violences sur sa compagne, commises devant sa fille de 10 ans, ce qui constitue une circonstance aggravante.
— Vous faites quoi dans la vie ?
— Je suis auto-entrepreneur, je fournis des prestations web.
— Et vous gagnez combien ?
— Environ 2 000 € par mois.
Le prévenu, très stressé, parle trop près du micro, qui crachote.
— Je vais vous couper le micro si vous continuez à jouer avec !
Andry M. a appelé le Samu, qui a prévenu la police. Celle-ci a procédé à l’interpellation vers 6 h du matin.
— Vous étiez sous l’empire de la boisson. Quand vous avez été testé 4 h plus tard, vous aviez encore 0,91 mg dans le sang. On peut supposer que vous étiez à 2 g au moment des faits, ce qui est une alcoolisation massive. Votre victime, avec qui vous êtes en couple depuis 7 ans, refuse de porter plainte et de se rendre à l’unité médico-judiciaire. On a la retranscription de votre conversation avec le Samu. Quand l’opérateur vous a demandé comment la victime avait été blessée, vous lui avez répondu qu’elle avait reçu un coup de bouteille. En revanche, le lendemain, en garde à vue, vous avez déclaré que vous ne vous souveniez de rien en raison de votre alcoolisation. C’est le blackout total.
— Je reconnais ma voix dans l’enregistrement, mais je n’ai aucun souvenir du geste.
— Vous dites de vous que vous êtes HPI, borderline, dépressif et autiste. Ça fait pas mal de choses ! Et vous êtes sous antidépresseurs et sous anxiolytiques.
Le prévenu confirme, il est très agité, on comprend mal ce qu’il veut ajouter. Le président s’agace :
— Ce que je veux comprendre, c’est à quel moment vous prenez cette bouteille. Elle n’est tout de même pas arrivée toute seule sur le crâne de madame ! C’est un geste vraiment inquiétant, qui peut tuer. Et c’est un triste spectacle à donner à votre fille de 10 ans. Vous imaginez ce que vit cet enfant ? Dans quel état de dégradation elle a vu son père ?
Andry M. convient de tout, et répète qu’il a été horrifié par ce qu’il a fait.
— La victime dit que c’est la première fois que les choses dégénèrent et qu’elle veut rester avec vous. Et vous ?
Lui aussi.
— Et qu’est-ce que vous allez faire la prochaine fois ? Vous allez reprendre une bouteille et finir par la tuer ?
Le prévenu tente de répondre, de parler de son traitement, là encore trop près du micro.
— Mais arrêtez donc de jouer avec ce micro ! Alors comme ça, vous auriez été diagnostiqué « borderline » ? C’est vrai ça ? [Le prévenu acquiesce] Et HPI, c’est un diagnostic aussi ?
— Oui, à 17 ans, j’ai été diagnostiqué par une psychologue.
— À 17 ans, hein ? Et aussi autiste ?
— Ça, c’est plutôt une vision que j’ai de moi-même.
— Tiens donc. Quelque chose à ajouter sur les faits ?
— Ce que j’ai fait me glace le sang, je suis désolé et je ne…
Le président feuillette le dossier en même temps :
— Bon, pas de casier. Et je ne vois pas l’enquête sociale rapide.
— … quand bien même il est trop tard et qu’on ne peut pas effacer ce qui s’est passé…
— Et vous madame l’avocate ? Vous ne l’avez pas eue non plus ? Et vous, monsieur le procureur ?
— je voudrais aussi dire…
— Je déclare l’audience suspendue le temps que monsieur le procureur aille chercher l’enquête sociale rapide, qui s’est égarée.
Revenu de suspension, le président parcourt l’ESR.
— Ça ou rien, ça aurait été pareil !
Il moque la conclusion.
— Ah, il faut « faire émerger une posture responsable ». C’est vrai que, quand ça ne vient pas tout seul, c’est plus difficile. Alors comme ça vous êtes dépressif ? Mais pourquoi ? Avec toutes les qualités que vous avez, HPI et tout ça ?
— Je réfléchis trop.
— Ah ah, je le dis souvent, il faut réfléchir le moins possible ! À quoi vous réfléchissez ?
— J’arrive pas à décrire, ça fuse dans ma tête.
— Est-ce que vous êtes suivi ?
— Je suis à la recherche d’un psy. C’est ce que j’ai expliqué ce matin à votre assistant.
Le président explose de rire.
— Si vous parlez de monsieur le procureur de cette manière, il ne va pas être content. Bref vous êtes proactif, c’est une bonne chose. Au fait, est-ce que la victime est là ?
Une jeune femme lève la main dans la salle. La voyant, le président s’exclame :
— Il y a un peu moins de sang que sur la photo du dossier ! Venez à la barre. Même si vous ne voulez pas vous constituer partie civile, je peux tout de même vous entendre comme témoin.
Elle confirme qu’ils sont ensemble depuis 7 ans, que c’est la première fois qu’il y a des violences et qu’ils veulent se marier l’année prochaine.
— Vous voulez donc rester avec monsieur malgré le coup de bouteille que vous avez reçu sur la tête ?
Le président conclut avec mélancolie qu’il est difficile de protéger les gens contre leur volonté, et passe la parole à l’avocate de l’administratrice ad hoc désignée la veille pour représenter les intérêts de l’enfant devant le tribunal :
— Ses parents l’ont eue très jeune. Un premier jugement la confie à sa mère, mais le père récupère la garde d’un commun accord quand elle a 2 ans. L’enfant dit qu’elle n’a jamais subi de violence. Ceci étant, elle a subi un cauchemar total qui a commencé dès le samedi soir avant même que les faits arrivent. Elle a passé la soirée entourée d’adultes ivres morts. Je ne suis pas convaincue que ce soit la place d’une enfant de 10 ans !
D’un air terrible, elle s’adresse ensuite au prévenu :
— Quelle vision du couple et du sexe opposé est-ce que vous allez lui donner ? Ce n’est pas la meilleure vision qu’on puisse lui faire pour sa construction de femme. [Se tournant vers la victime] Il faut que ce soit aussi entendu par cette personne, puisqu’elle est dans la salle. Même si elle n’est pas la mère, même si elle a du mal avec une enfant qui n’est pas la sienne et qui rentre dans l’adolescence, elle doit comprendre qu’elle doit apporter des éléments positifs dans la vie de cette petite fille pour lui permettre de se construire de manière positive. Je préconise le suivi de la famille par les services sociaux ainsi qu’un suivi pédopsychiatre pour l’enfant.
Le procureur demande effectivement au début de ses réquisitions la saisie de la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation pour savoir si la mise en place d’intervenants sociaux est nécessaire. Pour le reste, s’il reconnaît à la victime le droit de donner une chance à son couple, il veut des gages :
— Il faut une menace d’emprisonnement au-dessus de sa tête pour garantir que monsieur prenne au sérieux ses bonnes résolutions.
Il demande 15 mois avec sursis probatoire avec obligation de soins, de travail et de participer à un stage de responsabilisation des auteurs de violences conjugales.
L’avocate de la défense se lève pour plaider :
— Andry M. a rencontré des difficultés dans sa jeunesse : des violences et des agressions sexuelles de la part de son père. Mais il peut vivre une vie respectable. Il a très honte de ce qu’il a fait. Il est prêt à travailler avec les services sociaux, à payer les dommages et intérêts à son enfant. Mais les relations entre cette petite fille et son père ne se résument pas aux faits pour lesquels il comparaît. Aujourd’hui elle s’inquiète pour son papa, elle a compris qu’il risquait de lui arriver quelque chose de grave.
Quand on lui donne la parole pour ajouter un dernier mot, le prévenu se tourne vers sa compagne :
— Je suis terriblement désolé.
Le président y met bon ordre :
— Adressez-vous au tribunal !
— Je suis déterminé à arrêter les médicaments et l’alcool.
— C’est vrai que les deux ne font pas bon ménage !
Le prévenu continue à parler mais le président l’interrompt – « Très bien, très bien, vous voulez tout arrêter » – avant de suspendre l’audience pour délibérer.
Le prévenu est condamné à 10 mois de prison avec sursis probatoire.
*
Bien souvent en comparution immédiate, les victime de violences conjugales sont traitées avec la même désinvolture, voire le même mépris que les prévenus. On ne les laisse pas parler, on ne les croit pas, ou bien on leur reproche de ne pas avoir fait les choses correctement : elles auraient dû partir avant, ou bien elles ont porté plainte trop tard, ou, bien pire au yeux des gens de justice, elles ont retiré leur plainte.