« Allez, salut ! »

« Allez, salut ! »

Toulouse, salle des comparutions immédiates, mars 2023

Placé en semi-liberté, François B. n’est pas rentré en temps et en heure à la prison. Il comparaît donc pour évasion. L’avocat demande un report, le temps d’obtenir une expertise psychiatrique. Le président commence à égrener les éléments de personnalité – « Il a déjà travaillé dans un foyer Emmaüs. Il a 34 mentions à son casier… » – quand le prévenu l’interrompt :

— Oui, malheureusement. Malgré les démarches… J’ai essayé de me reconstruire, mais il y a eu le Covid. Je n’avais pas d’endroit où dormir. Parfois les copains m’ont proposé de l’argent, mais j’ai refusé parce que je voulais m’en sortir tout seul. Mais sans papiers, sans compte bancaire, il n’y a qu’un moyen de s’en sortir : tiens, j’ai envie de manger, ben je prends de l’argent. À chaque fois ça tourne mal. Il m’est arrivé beaucoup de soucis : l’autre jour par exemple, le psy m’avait donné de la viande, j’ai pensé que c’était de la viande avariée, j’ai complètement psychoté et…

Le président réussit à lui couper la parole pour préciser d’un air significatif :

— Vous avez passé deux ou trois mois à l’Unité hospitalière spécialement aménagée de l’hôpital psychiatrique Gérard-Marchant.

« Spécialement aménagée » pour enfermer les détenus envoyés par l’administration pénitentiaire.

— Oui, je suis allé à l’UHSA. Je me faisais casser la gueule en promenade, c’est la seule solution que j’ai trouvée pour me sortir de ça. Après, si vous appelez ça un problème psychologique…

C’est le moment du réquisitoire du procureur :

— Bien sûr, je demande le maintien en détention. Concernant l’expertise psychiatrique, il n’y a pas vraiment besoin de discuter.

Il fait un geste éloquent de la main. L’avocat n’a rien à ajouter, et le tribunal se retire délibérer.

Les gens de justice papotent pour passer le temps :

— Il est pas sorti, lui.

— Quelle misère !

Revenu des délibérations, le tribunal déclare que l’affaire est renvoyée, ordonne une expertise psychiatrique, et maintient François B. en détention. Celui-ci demande s’il peut préparer la défense de son choix. Le président a l’air surpris, François B. précise :

— Est-ce que je peux choisir une défense qui n’est pas forcément psychologique ?

Le président ne voit pas du tout ce qui pourrait bien s’y opposer. Il donne la date de la future audience, et François B. l’interroge de nouveau vivement :

— C’est dans un peu plus d’un mois, ça. Un mois où ?

— À la prison de Seysses.

— Mais où ?

— En quartier normal.

— Je sais comment ça va se terminer. Allez, salut !

« Bon, on se revoit dans un mois »

« Bon, on se revoit dans un mois »

Marseille, chambre des comparutions immédiates, octobre 2022

Renaud C. est né à Marseille, il y a bientôt 40 ans. Il est accusé d’avoir exercé sur sa mère – avec laquelle il vit – des violences n’ayant entraîné aucune ITT. On n’en saura pas plus sur les faits, puisque le procès doit être renvoyé, comme l’explique le président :

— Apparemment, la victime n’a pas été avisée. Le dossier n’est donc pas en état d’être jugé. Ah bah, la journée commence bien ! La question qui se pose maintenant est de savoir si vous allez être libéré et mis sous contrôle judiciaire avant le procès, ou bien si vous attendrez en prison.

C’est le moment de l’examen des « éléments de personnalité » – et avant toute chose le casier judiciaire.

— En 2012, vous avez été condamné à du sursis probatoire, déjà pour des violences sur ascendant. Qu’est-ce que vous pouvez nous en dire ?

Le prévenu, perdu, bafouille et peine à s’exprimer. Le président y voit une occasion de faire de l’esprit :

— Apparemment, ce ne sont pas des souvenirs marquants !

L’avocate de la défense, à l’autre bout de la salle, se lève et interpelle son client :

— Vous m’en avez parlé ce matin ! Vous pouvez raconter dans quel contexte c’est arrivé et ce que vous éprouviez à l’époque.

Renaud C. répond dans un murmure qu’il « éprouvait de la solitude » et qu’il n’était « pas très bien dans sa peau ».

Sur le plan professionnel, sa situation est stable : il est cuisinier et gagne 1600 € par mois. Mais son mode de vie ne trouve pas grâce aux yeux du président :

— Vous êtes endetté depuis longtemps à hauteur de 1000 € par mois. C’est un plan de surendettement ?

— J’ai trois crédits en cours.

— Pour financer quoi ?

— Une moto.

Grimace du président :

— Est-ce que ne devriez pas être plus raisonnable dans vos dépenses pour arrêter de vivre chez votre mère à presque 40 ans ?

Ça n’est pas vraiment une question, le prévenu ne s’y trompe pas et reste silencieux.

— Vous êtes célibataire, vous dites avoir des difficultés à rencontrer quelqu’un à cause de vos horaires de travail. Ça veut dire que vous faites à la fois le service du soir et du midi ?

— Seulement le soir.

Encore une mauvaise réponse. Le président fait la moue avant de parcourir rapidement l’enquête sociale rapide. Il en lit à haute voix les éléments qu’il juge significatifs – ou juste rigolos – et pose des questions pertinentes pour savoir s’il faut envoyer Renaud C. en prison :

— Vous êtes un amateur de figurines, de mangas et de chats. Vous avez 9 chats à la maison. À qui sont ces chats, à votre mère ou à vous ?

— À nous deux !

Le président signale ensuite que sa mère et son frère trouvent qu’il a un comportement difficile, avec des accès de colère. Dans le cadre du sursis probatoire, il a été suivi par un psychologue il y a quelques années. Mais le président remarque froidement que « ce n’était pas une démarche personnelle », et que le prévenu n’a pas repris de traitement à la fin de l’obligation.

— L’enquête sociale rapide signale en dehors de ça, des problèmes d’alcool, un père violent… Pour poser la question franchement, est-ce que pouvez être logé ailleurs que chez votre mère ?

— Non.

Le procureur a une transition toute trouvée :

— Votre dernière question est essentielle ! Pour éviter la réitération des faits, je demande la détention provisoire. Même si la victime a refusé d’ouvrir la porte aux policiers qui sont venus l’interroger en disant que son fils lui manquait et en traitant les policiers de guignols ! Ah, on est en plein drame balzacien !

Quoi que ça veuille dire, c’est à l’avocate de la défense de plaider :

— Monsieur est âgé de 40 ans, on comprend bien qu’il a du mal à supporter une maman qui l’infantilisme beaucoup.

Elle rappelle que la seule mention au casier date de 2012.

— Monsieur se sentait délaissé parce que sa mère préférait son frère. La victime elle-même aimerait que cette procédure s’arrête.

Elle demande un contrôle judiciaire avec une obligation de soins « pour gérer sa colère et sa frustration d’être encore à 40 ans chez sa mère avec ses 9 chats ».

Le prévenu, en pleurs, ne sait pas quoi ajouter.

— Je suis désolé pour ma mère.

Revenu des délibérations, le président assure d’un air vaguement désolé qu’avec ses assesseurs ils ont « cherché une autre solution ». Manque de chance, ils n’en ont pas trouvé ! Il annonce donc être contraint d’envoyer Renaud C. en prison.

Puisque c’est la première fois que le prévenu va être incarcéré, le président lui pose une série de questions :

— Est-ce que vous avez des problèmes de santé ?

On entend à peine Renaud C. répondre qu’il fait des crises d’angoisse.

— Mais vous ne prenez pas de médicament ?

Il secoue la tête négativement.

— Vous prenez de la drogue ?

Renaud C. a l’air de plus en plus perdu devant cette avalanche de questions tardives. Le président soupire avant de daigner lui expliquer :

— Ce ne sont pas des questions pièges. C’est pour savoir si vous avez des dépendances et éviter le manque en prison. Bon, on se revoit dans un mois.

Affaire suivante.

Chronique radio de janvier 2022 : demander un délai pour préparer sa défense et se retrouver en prison

Chronique radio de janvier 2022 : demander un délai pour préparer sa défense et se retrouver en prison

En comparution immédiate, la première question posée à la personne poursuivie est la suivante : « Voulez-vous être jugée tout de suite ou sollicitez-vous un délai pour préparer votre défense? »

Mais si elle demande un renvoi, une autre question va se poser : sera-t-elle laissée libre jusqu’à l’audience ou sera-t-elle placée en détention provisoire ?

La loi encadre normalement cette pratique : un⋅e prévenu⋅e ne peut être mis⋅e en détention provisoire que si c’est le seul et unique moyen d’éviter le renouvellement de l’infraction et de s’assurer qu’il ou elle viendra à son procès.

Dans les faits, quand la personne à un casier judiciaire, ou bien qu’elle n’a pas de travail, pas de foyer ou pas de papiers, elle sera envoyée en détention provisoire. Pour le dire autrement, les prévenu⋅es de compa qui demandent un renvoi iront préparer leur défense en prison.

On lira des morceaux de Trois renvois.

La Sellette anime une chronique radio tous les derniers vendredis du mois dans l’émission de l’Envolée. Vous pouvez écouter l’émission sur leur site.