Les aménagements de peine

Les aménagements de peine

Les aménagements de peine sont censés favoriser la réinsertion des personnes condamnées en leur permettant d’exécuter tout ou partie de leur peine sous une autre forme que l’incarcération : liberté conditionnelle, semi-liberté, placement à l’extérieur ou bracelets électroniques, autant d’« alternatives à l’incarcération » qui ne bénéficieront cependant que rarement aux personnes les plus précaires.

En comparution immédiate, de plus de plus de personnes sont condamnées à effectuer de la détention à domicile. À y regarder de plus près cependant, le bracelet électronique vient souvent remplacer le travail d’intérêt général ou le sursis probatoire plutôt que de se substituer à la prison. Si bien que le nombre de détenu·es et celui des personnes sous bracelet augmentent de concert.

Ressources évoquées dans l’émission :
Deux chroniques de La Sellette : Esprit d’entreprise et La clémence du tribunal
Camille Polloni, Le juteux marché du bracelet électronique confié à Thales

La clémence du tribunal

La clémence du tribunal

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, novembre 2023

Renaud B. a refusé d’obtempérer quand les gendarmes ont voulu le contrôler. Ceux-ci l’ont poursuivi pendant une trentaine de kilomètres avant qu’il ne s’arrête.

— Vous êtes par ailleurs arrivé à très grande vitesse vers les renforts appelés par les gendarmes, les obligeant à activer le freinage d’urgence. Les policiers se sont constitués partie civile.

L’identification du véhicule a permis de faire le lien avec un vol d’outils ayant eu lieu à Bricomarché. Qu’avez-vous à en dire ?

— Je suis désolé. Le vol, c’est parce que je suis en galère d’argent. Je ne touche plus le RSA. Et la fuite, c’était parce que j’ai eu peur. Sans véhicule, je galère à travailler. La voiture est à ma mère.

La présidente évoque ses antécédents judiciaires, trois affaires anciennes de détention de stupéfiants et une condamnation récente : il est passé en comparution sur reconnaissance de culpabilité en octobre pour conduite sous stupéfiant. Il ne trouve plus de travail depuis qu’il n’a plus son permis, mais compte le repasser pour pouvoir repartir en saison dans l’hôtellerie ou la restauration.

Absents à l’audience, les gendarmes ont écrit au tribunal pour demander 500 € de dommages et intérêts.

Pour commencer ses réquisitions, le procureur affirme avec gravité que « le refus d’obtempérer heurte grandement l’ordre et la sécurité publique ».

— Renaud B. a mis en péril sa propre vie, mais aussi celle des personnes qui vivent dans les alentours. Une personne a d’ailleurs récemment été fauchée et tuée ! Monsieur a déjà été condamné à de nombreuses reprises, la seule réponse qui n’a pas été essayée est celle de l’emprisonnement ferme. Au mieux peut-il espérer la prison à la maison : l’emprisonnement ferme avec bracelet.

De fait, plein de mansuétude, il demande neuf mois de détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE), 100 € d’amende, et la confiscation du véhicule, assorti de l’interdiction de permis de conduire pendant un an.

L’avocate assure qu’il n’a pas voulu mettre les gendarmes en danger.

— Il était dans un état de panique où on n’arrive plus à réfléchir et où on fait n’importe quoi. C’est ce que j’appelle « l’effet chimpanzé » !

Elle marque un temps d’arrêt pour mesurer l’effet de sa trouvaille, puis continue :

— Il a fait tout cela certainement par bêtise, mais aussi en raison de son état psychique. Il faut savoir que monsieur a été toxicomane pendant des années. Il s’injectait de l’héroïne tous les jours. On ne parle pas de cannabis, hein, ce n’est pas comme fumer un joint le soir pour se détendre.

La présidente l’interrompt pour rappeler froidement que « les deux substances sont interdites ». L’avocate s’excuse puis reprend.

— Mais depuis un an, il a connu un nombre hors du commun de décès : son père, sa meilleure amie, deux oncles, un cousin… Son psychisme s’est dégradé. Il doit être sanctionné, pas de difficulté, mais il faut tenir compte de son état psychologique et de sa situation professionnelle et financière. Le procureur demande une peine DDSE, je ne m’y oppose pas. C’est la peine qui correspond le mieux à sa personnalité. Sa maman accepte de le prendre chez elle. Ce qu’il faudrait c’est qu’il puisse retravailler, pour aller mieux, pour avancer. Et concernant la confiscation du véhicule, je voudrais rappeler qu’il appartient à sa mère.

Le prévenu est condamné à 9 mois de prison à exécuter sous bracelet chez sa mère, ainsi qu’à une obligation de travail et de soins. Il doit aussi payer une amende de 100 € et 250 € à chacun des gendarmes. Le véhicule est confisqué. La présidente accompagne cette grande clémence d’un avertissement :

— Il n’y aura pas deux fois une chance comme ça.

Un garçon chanceux

Un garçon chanceux

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, octobre 2023

Adama F., né en 2002 à Toulouse, comparaît pour avoir vendu deux demi-grammes de cocaïne, ce qu’il a reconnu en garde à vue.

— Qu’avez-vous à dire sur les faits ?

— J’ai fait un an de prison, je suis sorti il n’y a pas longtemps, mais mon père m’a mis dehors et…

— On évoquera votre situation plus tard. On parle des faits, là. Éducateur, service pénitentiaire d’insertion et de probation, association de réinsertion… Il y a beaucoup de gens qui s’occupent de vous ! Et pourtant vous recommencez à dealer de la drogue.

— Je ne vais pas me laisser mourir de faim.

— Comment penser que ça va s’arrêter ? Vous êtes dans une impasse.

— Je vais entrer dans une formation. Je vais m’inscrire à l’école et…

— Ça, on en parlera après. Vous dormez dehors, dans le quartier des Izards. Vous n’avez pas d’autre domicile ?

— Non.

— Le 21 septembre, vous aviez rendez-vous dans un établissement pour l’insertion dans l’emploi, un EPIDE. Où est-ce que vous étiez ?

— En garde à vue.

— Eh bien oui ! Et le 5 septembre, vous aviez un rendez-vous médico-psychologique par rapport à ce qu’ils appellent votre « fragilité ». Vous n’y êtes pas allé. Pourquoi ?

Le prévenu murmure quelque chose sur son père. La présidente consulte le dossier et confirme que ce jour-là il a subi des violences.

— Mais le 25 septembre, vous deviez voir un psychologue chez le SPIP. Vous n’y êtes pas allé non plus. Comment voulez-vous qu’on vous aide si vous ne vous donnez pas la peine de venir ?

Adama F. commence à raconter quelque chose, puis s’arrête après avoir balayé la salle du regard :

— Je veux bien en parler dans un bureau mais pas devant tous ces gens.

— Je sais qu’il y a eu des problèmes. Je vois dans le dossier que vous avez été placé dans votre adolescence.

Il a plusieurs mentions sur son casier, pour des vols et de la vente de drogue. Sa dernière peine a été aménagée sous forme de bracelet électronique, mais il a dû la finir en prison faute de domicile. Sa tante, qui l’accueillait, l’a mis dehors après s’être fâchée avec sa mère.

— Et à peine sorti de prison, vous avez recommencé à vendre !

— Je dors dehors. Si je n’ai pas d’argent, je mange comment ?

— C’est très grave de vendre de la drogue.

— Je sais que c’est mal ! Mais je fais comment ?

— Est-ce que vous avez conscience de la façon dont vous répondez au tribunal ?

Là-dessus, elle passe la parole à la procureure pour ses réquisitions.

— C’est un début de majorité chaotique. Monsieur T. a tout juste 20 ans et encourt 20 ans de prison ! Des opportunités lui ont été offertes, il n’a pas su les saisir. Au lieu de ça, il participe à la prolifération du trafic de stupéfiants, qui est source de violences en plus d’être un problème de santé publique. DDSE, incarcération, sursis probatoire, on a tout essayé. Quelle peine faut-il choisir pour qu’il comprenne enfin ?

Elle a une idée sur la question : 12 mois de prison avec mandat de dépôt.

L’avocate tient à rappeler les difficultés de son client :

— Il nous dit : « Quand je suis seul, dans la rue, je ne sais plus comment m’en sortir. » Certes, c’est un raisonnement d’adolescent, pas d’une personne raisonnable, mais ce qui est vrai, c’est que si on l’envoie en prison pour 12 mois, il sera dans la même situation quand il sortira. Or, il y a une solution : le rendez-vous qu’il a manqué est rattrapable. Il serait totalement pris en charge dans un internat à l’EPIDE.

Il est condamné à 6 mois de prison sans mandat de dépôt. Un juge de l’application des peines se prononcera donc sur la possibilité d’un aménagement qui lui permettrait d’aller à l’EPIDE. La présidente avertit le prévenu avant qu’il soit ramené aux geôles :

— Dernière chance, monsieur. Vous avez de la chance d’avoir autant d’éducateurs autour de vous.