Toulouse, chambre des comparutions immédiates, juin 2022
Le président commence abruptement :
— Vous êtes Portugais, vous avez 40 ans, vous n’avez pas d’emploi, pas d’activité et pas de domicile fixe. Vous n’avez jamais été condamné jusque-là et vous comparaissez aujourd’hui pour agression sexuelle.
Un mois et demi plus tôt, Diego N. a touché les fesses de deux femmes dans le hall de la gare, alors qu’elles regardaient les horaires de train sur les écrans dans un moment de grande affluence. La scène a été filmée par les caméras de vidéosurveillance, et il a été arrêté le lendemain. Il est en détention provisoire depuis, le procès ayant été renvoyé deux fois pour attendre une expertise psychiatrique.
Dès son arrivée à la prison de Seysses, il y a eu un gros incident à la suite duquel il a été placé à l’isolement puis transféré à l’UHSA, l’Unité hospitalière qui assure les missions de soins psychiatriques pour les personnes détenues.
— Vous avez eu des difficultés de comportement pendant la garde à vue, le déferrement, avec les avocats, avec tout le monde tout au long de la procédure.Vous n’avez jamais voulu vous expliquer sur les faits qu’on vous reproche. Voilà, qu’est-ce qu’il a à dire le monsieur ?
Le prévenu a des difficultés à répondre. Ses mouvements sont lents, il a l’air d’avoir du mal à parler à l’interprète. Le président y voit l’occasion d’une boutade :
— Là, je n’entends rien. C’est vrai que j’ai bien dit tout à l’heure qu’il avait le droit de garder le silence.
— Il dit qu’il est innocent.
— Innocent !
— Il dit qu’il n’a fait de mal à personne.
— Est-ce que vous avez touché les fesses de ces femmes ?
— Il dit que c’est faux, qu’il n’a jamais palpé aucune fesse.
— Est-ce qu’il était à la gare ce jour-là ?
— Non.
— Bon, quand on l’a interpellé le lendemain, il était à la gare que je sache !
À la gare un jour, à la gare toujours.
— Il dit que ce jour-là, c’est lui qui a appelé la police, parce qu’il venait de se faire agresser.
— Ah tiens ! Et ce sont sans doute ces deux jeunes filles qui vous ont agressé !
Le président lit ensuite en diagonale l’expertise psychiatrique :
— Célibataire, sans enfant, vous auriez une fille…
Nouvelle remarque hilarante :
— Sans enfant avec une fille, on voit bien la cohérence !
Pour le reste, l’expertise signale d’importants troubles du comportement. À Seysses, il a attaqué un surveillant avec deux fourchettes et a expliqué ensuite avoir voulu faire comprendre à la pénitentiaire que son codétenu était innocent. Le président s’amuse beaucoup : « Deux innocents dans la même cellule ! »
— Vous dites que votre père est un homme célèbre, que vos parents sont propriétaires de châteaux au Portugal. Et puis vous urinez dans votre cellule, et quand on vous interroge là-dessus, vous dites qu’il pleut à l’intérieur.
L’expert observe « un état de grande exaltation, des idées de grandeur et un état maniaque ».
— Vous n’avez pas eu de relations sexuelles avec une femme depuis vingt ans. Vous êtes volubile et vous ne supportez pas qu’on vous coupe la parole.
L’homme est dans un tel état d’hébétude aujourd’hui qu’on a du mal à l’imaginer.
L’expert conclut à un état d’altération du discernement au moment des faits, et une dangerosité psychiatrique qui justifie une hospitalisation sous contrainte. Mais le prévenu reste selon lui « accessible à la sanction pénale ».
— Voilà monsieur, c’est ce que le docteur dit de vous : vous n’êtes pas tout à fait normal sans être fou à lier, quelque chose comme ça. Vous l’admettez, ça ?
L’homme répond seulement qu’il avait un traitement au Portugal.
Les deux femmes ne s’étant pas constituées partie civile, on passe directement aux réquisitions du procureur :
— Elles ont été victimes des agissements de Diego N., mais aussi de ses dénégations : une fois de plus des victimes d’agressions sexuelles sont accusées de mentir, de dire n’importe quoi, d’accuser un innocent !
La tirade tombe un peu bizarrement : le tribunal n’a pas pensé une seconde que le prévenu n’était pas coupable, moins par conviction féministe que par habitude. Le procureur est emporté par son élan :
— Son geste est une atteinte à l’intimité, par nature traumatisante pour les victimes sur un temps qui peut être long. À partir de maintenant, elles seront sur le qui-vive, qui les mènera à un repli sur soi.
Il entrevoit néanmoins une raison d’espérer : le prévenu lui semble très calme, c’est la preuve selon lui que le traitement fonctionne.
Il demande donc 2 mois de prison ferme, manière de couvrir la détention provisoire, et 6 de sursis avec une obligation de soin, et l’inscription au fichiers judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles (Fijais).
En revanche, il rappelle qu’un arrêté du préfet a reconduit l’hospitalisation forcée de juin à septembre. Diego N. resterait donc à l’hôpital psychiatrique jusqu’à ce que l’hospitalisation soit levée.
L’avocat est bien embêté :
— Par déontologie, je suis tenu de suivre la position de mon client qui affirme ne pas avoir commis les faits qu’on lui reproche et je vous demande donc de le relaxer.
Il glisse tout de même quelques mots sur l’indignité d’avoir placé monsieur en centre pénitentiaire alors même que tout au long de la procédure chacun a pu voir sa « personnalité un peu troublée ».
Le tribunal retient l’altération du discernement, et condamne le prévenu à 6 mois dont 4 assorti du sursis simple :
— Vous n’êtes pas maintenu en détention, mais vous allez rester dans un établissement de soin.
Le prévenu a du mal à comprendre la sentence. L’avocat et le traducteur expliquent trop longuement au goût du président :
— Bon, on ne va pas s’étendre beaucoup plus. Ça veut dire qu’il n’est plus innocent. Mais ça n’est pas tout, monsieur le traducteur, écoutez la suite, c’est important !
De fait, il prononce l’inscription au Fijais et une interdiction du territoire pendant 3 ans, qui n’avait pas été demandée par le procureur.
— Et une fois que les soins sont levés, il repart au Portugal !