Toulouse, chambre des comparutions immédiates, février 2021
Peu de monde dans la salle, si bien que tout le monde trouve une place, malgré le protocole sanitaire, qui interdit un siège sur deux avec des rubans blanc et rouge. Le prévenu est amené dans le box : Yassine B. est né en 1996 en Algérie, cheveux mi-longs coiffés en arrière.
Le président lui demande de confirmer son adresse. On comprend mal la réponse. L’assesseuse à sa gauche, une femme de 50 ans, se penche pour demander au président à voix basse :
— Il ne parle pas français ?
— Si, mais…
Il ne termine pas sa phrase. Dans l’air, la question de l’interprète : la personne qui comparaît ici et risque la prison devrait pouvoir comprendre et être comprise.
À défaut de demander un ou une interprète, le président s’adresse à Yassine B. :
— Parlez bien fort au micro !
Puis il enchaîne.
On accuse Yassine B. d’avoir donné un coup de couteau à quelqu’un un mois auparavant. Il ne reconnaît pas les faits.
Personne n’a vu l’infraction, qui a eu lieu autour de 15 h, mais la vidéosurveillance le montre en train de se disputer avec la victime plus tôt dans l’après-midi ; et vers 17 h il est retrouvé avec un couteau sur lui.
Yassine B. est jugé selon la procédure de comparution à délai différé, ce qui a permis l’analyse du couteau, mais celle-ci n’a révélé aucune trace de l’ADN de la victime.
Après le rappel des faits, l’interrogatoire commence.
— Les policiers qui vous ont interpellé en fin de journée indiquent que vous vous êtes enfui en les voyant ?
— Je ne me suis pas enfui, je suis juste parti.
— Ah, et c’est un hasard ?
Le président poursuit sans attendre la réponse :
— Quand les policiers vous aperçoivent en fin d’après-midi, place Arnaud Bernard, vous mimez des gestes. Pourquoi faites-vous des gestes ?
À cette étonnante question, le prévenu répond qu’il n’en sait rien, qu’il discutait, c’est tout, et qu’il ne sait plus de quoi il parlait.
Le président montre des photos à ses deux collègues et fait remarquer :
— À 13 h, vous aviez un pantalon, à 17 h vous en aviez un autre. C’est troublant.
— Je me suis mouillé le pantalon.
— Comment vous êtes-vous mouillé le pantalon ?
— Un ami m’a jeté de l’eau.
Le président est dubitatif. Si ce n’était vraiment que de l’eau, aurait-il pris la peine de rentrer chez lui se changer ? Il précise au passage que la victime ne reconnaît pas Yassine B. comme étant l’auteur des coups de couteau. Mais qu’en revanche, un jeune homme qui l’a croisé au commissariat par hasard l’a spontanément désigné comme l’agresseur.
L’assesseuse à gauche demande à avoir plus d’informations sur les blessures de la victime. On apprend donc que celle-ci a six jours d’ITT. La magistrate replonge dans l’examen des photos et de la description des blessures, avant de relever la tête pour demander :
— Vous êtes droitier ou gaucher, monsieur ?
— Droitier.
Voilà qui lui donne à penser : elle chuchote à l’oreille du président des choses que l’on n’entend pas dans la salle. Mais le coup de théâtre attendu n’arrive pas – le moment Sherlock Holmes aura été de courte durée. L’interrogatoire reprend sur des bases plus conventionnelles : Yassine B. confirme être arrivé en France en 2016, faire du tri de colis en intérim, avoir un enfant qui habite chez sa mère. Le président termine en précisant que son casier judiciaire français ne porte trace d’aucune mention, laissant vaguement sous-entendre qu’il en va peut-être autrement de son casier algérien.
La jeune procureuse commence alors son réquisitoire :
— Cette affaire est un règlement de comptes dont on ne connaît ni les tenants ni les aboutissants.
Si elle reconnaît que les preuves sont toutes indirectes, elle estime qu’il y a là un faisceau d’indices qui ne laissent aucun doute sur le fait que le prévenu a bien donné un coup de couteau à la victime.
Elle demande 12 à 15 mois d’emprisonnement, le maintien en détention et l’interdiction de détenir une arme soumise à autorisation pendant 5 ans.
L’avocate de Yassine B. rappelle quant à elle qu’il n’y a ni éléments matériels concrets ni témoins directs. Les coups de couteau interviennent après le moment capturé par la vidéosurveillance et avant l’intervention de la police. Rien ne permet d’affirmer que le prévenu était seulement présent au moment des faits. Qu’il se soit changé au cours de l’après-midi, ou qu’il ait mimé un geste ne lui semble pas du tout constituer des indices décisifs. Elle en plaisante d’ailleurs :
— Moi, j’aime bien Mbappé, je peux mimer son coup de pied. (elle joint le geste à a parole) Est-ce que ça ferait de moi une footballeuse ?
C’est la fin de l’audience. Le prévenu n’ayant rien à ajouter, il est emmené. Voyant cela, un jeune homme assis dans la salle se lève, s’avance dans l’allée centrale, hésite visiblement sur la personne à qui s’adresser, et va finalement parler à l’avocate de la défense. Celle-ci l’écoute quelques secondes avant d’interpeller le président :
— C’est la victime ! Il veut témoigner.
Le président a l’air navré :
— Vous étiez là depuis le début ? Je n’ai pas fait attention…
Comme l’homme précise qu’il ne parle pas bien français, un interprète, présent dans la salle, s’avance spontanément à ses côtés pour traduire ses propos, qui effectivement, ne manquent pas d’intérêt :
— Ce n’est pas lui qui m’a fait ça.
Le président a l’air de plus en plus navré. Il essaye tout de même de coincer la victime, mais le cœur n’y est plus :
— Vous avez dit aux policiers que vous ne le connaissiez pas ; or la téléphonie montre que vous le connaissiez.
— Je le connais de vue, sans plus. Mais je suis certain que ce n’est pas lui.
— Pourtant vous aviez dit qu’avec son masque, ce n’était pas facile de reconnaître votre agresseur !
— Ce n’est pas lui !
Le tribunal délibère. Relaxe.
Le père du prévenu est dans la salle, à côté de la victime. À la sortie, tous les deux remercient l’avocate et partent ensemble.