Toulouse, chambre des comparutions immédiates, juin 2022
Ramzi T. – 25 ans, algérien – comparaît pour deux cambriolages et un troisième, avorté, effectués à bord d’une camionnette volée. S’ajoute à cela l’usage de fausses plaques, le refus de donner son code de téléphone et son opposition à un prélèvement ADN.
— Vous reconnaissez les faits ?
Pas de réponse.
Le président signale que le prévenu a déjà été en prison pour deux vols et une conduite sans permis, avant de résumer l’affaire : une patrouille a repéré un véhicule avec une fausse plaque garé devant une maison d’une banlieue chic. Les policiers se sont embusqués, ont suivi le conducteur quand celui-ci est sorti avec des objets volés, puis l’ont interpellé deux heures plus tard, à son arrivée à son domicile.
Ses empreintes ont permis de le relier à un autre cambriolage, plus ancien. Le président fait la liste des objets dont le vol a été déclaré : ordinateur portable, drone, chaussures, AirPods, iPad, une œuvre d’art et une montre – pour un total d’environ 17 000 € d’après la victime.
Ramzi T. a l’air stupéfait. 17 000 €, ce n’est pas possible. Et il n’a volé ni drone ni œuvre d’art.
Le président suppose qu’il n’a pas bien saisi et précise avec impatience qu’il ne s’agit pas d’argent liquide, mais d’une estimation de la valeur des biens. Mais le prévenu maintient sa version.
Un des assesseurs est exaspéré :
— Oh, mais il comprend vraiment rien !
Le président évoque ensuite un autre fait remontant à trois semaines :
— Vous vous êtes introduit dans une maison, mais vous en êtes aussitôt ressorti sans rien emporter.
— Ce n’est pas moi.
— Pourtant il y a des caméras et l’individu vous ressemble comme deux gouttes d’eau ! Et puis c’est votre secteur !
Il prend l’air entendu pour ajouter :
— D’ailleurs, même si vous n’êtes pas jugé pour ça, il y a une recrudescence de cambriolages dans cette zone…
Concernant les infractions commises en garde à vue, le président trouve incompréhensible que le prévenu refuse de donner à la police l’accès au contenu de son téléphone.
— Vous avez des choses à cacher ?
— Non.
— Ben alors, en quoi ça vous gênait ?
La vie privée, c’est pour les honnêtes gens.
— Et pourquoi vous avez aussi refusé le prélèvement génétique ? Vous avez peur d’un coton-tige dans le nez ?
Sans lui laisser le temps de répondre, il se moque :
— De toute façon, on l’a déjà, votre ADN, on l’avait relevé sur une scène de vol !
Le procureur trouve que le prévenu a eu bien de la chance d’être poursuivi pour seulement trois faits alors qu’il y a eu vingt-quatre vols par effraction dans le périmètre. Il demande douze mois de prison, plus six mois pour refus de prélèvement, le maintien en détention, et une interdiction du territoire français pendant cinq ans.
Indignation de l’avocat de la défense : tout de même, en l’absence d’enquête, rien ne prouve que c’est lui qui a commis les autres cambriolages ! Et puis son client n’a agressé personne, ce ne sont que des atteintes aux biens. Sans compter que la tentative de vol n’en est pas vraiment une puisque son client est ressorti de sa propre initiative moins d’une minute après être entré.
Pour conclure, il livre au tribunal sa réponse à ce qu’il appelle « la grande question » :
— Pourquoi aller commettre ce vol ? Eh bien, parce que parfois la vie c’est compliqué, surtout quand on n’a pas de papiers.
Certes.
Le prévenu est condamné à 2 ans de prison avec maintien en détention, plus une interdiction du territoire français de 5 ans. C’est beaucoup plus que les réquisitions du procureur. Est-ce pour cela que le président croit nécessaire de préciser que « la peine est proportionnée et conforme à la jurisprudence » ? Et puis, au cas où le prévenu s’aviserait de trouver ça injuste, il rappelle que « les autres cambriolages ne vous ont pas été reprochés, mais on aurait pu s’interroger ».