Un garçon chanceux

11 octobre 2023 | Chroniques d’audience

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, octobre 2023

Adama F., né en 2002 à Toulouse, comparaît pour avoir vendu deux demi-grammes de cocaïne, ce qu’il a reconnu en garde à vue.

— Qu’avez-vous à dire sur les faits ?

— J’ai fait un an de prison, je suis sorti il n’y a pas longtemps, mais mon père m’a mis dehors et…

— On évoquera votre situation plus tard. On parle des faits, là. Éducateur, service pénitentiaire d’insertion et de probation, association de réinsertion… Il y a beaucoup de gens qui s’occupent de vous ! Et pourtant vous recommencez à dealer de la drogue.

— Je ne vais pas me laisser mourir de faim.

— Comment penser que ça va s’arrêter ? Vous êtes dans une impasse.

— Je vais entrer dans une formation. Je vais m’inscrire à l’école et…

— Ça, on en parlera après. Vous dormez dehors, dans le quartier des Izards. Vous n’avez pas d’autre domicile ?

— Non.

— Le 21 septembre, vous aviez rendez-vous dans un établissement pour l’insertion dans l’emploi, un EPIDE. Où est-ce que vous étiez ?

— En garde à vue.

— Eh bien oui ! Et le 5 septembre, vous aviez un rendez-vous médico-psychologique par rapport à ce qu’ils appellent votre « fragilité ». Vous n’y êtes pas allé. Pourquoi ?

Le prévenu murmure quelque chose sur son père. La présidente consulte le dossier et confirme que ce jour-là il a subi des violences.

— Mais le 25 septembre, vous deviez voir un psychologue chez le SPIP. Vous n’y êtes pas allé non plus. Comment voulez-vous qu’on vous aide si vous ne vous donnez pas la peine de venir ?

Adama F. commence à raconter quelque chose, puis s’arrête après avoir balayé la salle du regard :

— Je veux bien en parler dans un bureau mais pas devant tous ces gens.

— Je sais qu’il y a eu des problèmes. Je vois dans le dossier que vous avez été placé dans votre adolescence.

Il a plusieurs mentions sur son casier, pour des vols et de la vente de drogue. Sa dernière peine a été aménagée sous forme de bracelet électronique, mais il a dû la finir en prison faute de domicile. Sa tante, qui l’accueillait, l’a mis dehors après s’être fâchée avec sa mère.

— Et à peine sorti de prison, vous avez recommencé à vendre !

— Je dors dehors. Si je n’ai pas d’argent, je mange comment ?

— C’est très grave de vendre de la drogue.

— Je sais que c’est mal ! Mais je fais comment ?

— Est-ce que vous avez conscience de la façon dont vous répondez au tribunal ?

Là-dessus, elle passe la parole à la procureure pour ses réquisitions.

— C’est un début de majorité chaotique. Monsieur T. a tout juste 20 ans et encourt 20 ans de prison ! Des opportunités lui ont été offertes, il n’a pas su les saisir. Au lieu de ça, il participe à la prolifération du trafic de stupéfiants, qui est source de violences en plus d’être un problème de santé publique. DDSE, incarcération, sursis probatoire, on a tout essayé. Quelle peine faut-il choisir pour qu’il comprenne enfin ?

Elle a une idée sur la question : 12 mois de prison avec mandat de dépôt.

L’avocate tient à rappeler les difficultés de son client :

— Il nous dit : « Quand je suis seul, dans la rue, je ne sais plus comment m’en sortir. » Certes, c’est un raisonnement d’adolescent, pas d’une personne raisonnable, mais ce qui est vrai, c’est que si on l’envoie en prison pour 12 mois, il sera dans la même situation quand il sortira. Or, il y a une solution : le rendez-vous qu’il a manqué est rattrapable. Il serait totalement pris en charge dans un internat à l’EPIDE.

Il est condamné à 6 mois de prison sans mandat de dépôt. Un juge de l’application des peines se prononcera donc sur la possibilité d’un aménagement qui lui permettrait d’aller à l’EPIDE. La présidente avertit le prévenu avant qu’il soit ramené aux geôles :

— Dernière chance, monsieur. Vous avez de la chance d’avoir autant d’éducateurs autour de vous.

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