Toulouse, chambre des comparutions immédiates, janvier 2022.
C’est le début de l’audience et la présidente s’impatiente :
— Toujours pas de dossier prêt ?
L’huissière est navrée :
— L’avocat est aux geôles avec l’interprète.
— Et il n’y a pas de dossier sans interprète ?
— Il y en a mais maître M. n’est pas arrivé.
— Bon, le tribunal se retire.
Les gens de justice commentent pendant que le public attend. Enfin, l’huissière annonce qu’un dossier est prêt. Le prévenu est amené.
L’interprète prête l’habituel serment « d’apporter son concours à la justice en votre honneur et conscience » et la présidente procède au rappel des faits.
Medhi D., bientôt vingt ans, comparaît pour vol avec violence en récidive, n’ayant entraîné aucune incapacité totale de travail (ITT) : au mois d’octobre dans des villes autour de Toulouse, il a volé deux téléphones en les arrachant des mains de leurs propriétaires et s’est ensuite enfui dans une camionnette. Un monsieur âgé qui a tenté de s’interposer devant le véhicule a dû s’écarter au dernier moment et la camionnette lui a touché le coude en passant.
La plaque ayant été relevée par les victimes, les gendarmes ont découvert que le véhicule était volé et que le prévenu avait déjà été interpellé à son bord pour de nouveaux faits de vol de téléphone à Toulouse et immédiatement déféré en comparution immédiate. Condamné en novembre à huit mois de prison pour recel de vol (le véhicule) et vol à l’arraché, Medhi D. est donc déjà en prison depuis deux mois lorsqu’il comparaît. En garde à vue, il a reconnu les faits, a expliqué qu’il était alors sous l’emprise de l’alcool et des médicaments et qu’il a revendu le téléphone pour 80 €.
La présidente lui demande s’il a quelque chose à dire sur les faits :
— Je tiens à vous présenter mes excuses.
— Avant de présenter vos excuses – qui sont bienvenues –, qu’est-ce que vous reconnaissez des faits que je viens de rapporter ?
— Je reconnais tout. C’était moi. Je vis une situation très difficile. Si j’avais une autre solution, je ne volerais pas. Je n’ai pas de quoi manger.
— Vous vous rappelez du monsieur qui a essayé de vous arrêter ?
— Je ne me souviens pas de ce monsieur.
— Et comment est-ce que ça se passait ? Vous tourniez jusqu’à ce que vous trouviez quelqu’un à voler ?
— Non. C’était par hasard. Je les ai eus en face de moi.
— Mais vous avez volé trois téléphones en deux jours !
— Parce que je n’étais pas dans mon état normal à cause de ma situation.
Outre sa peine de novembre, son casier judiciaire présente trois condamnations par le tribunal pour enfants. En 2019, il a écopé de quatre mois de prison avec sursis pour offre, cession et détention de stupéfiants ; en 2020, deux mois fermes pour vol en réunion avec dégradation, et un avertissement solennel pour faits de vols. La présidente l’avertit qu’il risque la révocation du sursis.
L’évocation de la personnalité est expédiée en trois phrases : il est né au Maroc, ses parents se sont séparés quand il était petit, il n’a plus de contact avec sa famille, il est à Toulouse depuis 2018, il travaille au noir sur les marchés. L’enquête sociale rapide se conclut sur ces mots : « Il est très seul à Toulouse. »
Seule l’une des victimes se constitue partie civile. Elle demande 610 € pour son préjudice matériel, 500 € de préjudice moral.
La procureure n’a pas grand-chose à en dire :
— On voit que le vol est une habitude et un moyen de subvenir à ses besoins. Tous les faits sont parfaitement caractérisés : je vous demande donc de le déclarer coupable.
Elle affirme cependant que les faits sont « très graves » – par habitude sans doute, et pour justifier de demander neuf mois de prison et le maintien en détention.
L’avocate fait des effets :
— Comment plaider quand on a déjà l’impression d’avoir plaidé le même dossier une centaine de fois ? Comment juger quand on a déjà jugé si souvent des dossiers identiques ? Je pourrais le plaider sans même l’avoir lu ! Ces dossiers sont tous les mêmes : des vols de subsistance. C’est le mirage français qui a fait venir ce garçon alors même qu’il était encore mineur. La réalité l’a rattrapé assez vite. On a du mal à comprendre pourquoi ces jeunes franchissent les frontières. Il n’a pas eu d’enfance, il a été élevé par sa mère et a décidé vite de s’en aller : ce sont de maigres éléments de personnalité, mais qui le définissent tout entier.
Comme c’est la règle, on demande à Medhi D. s’il veut ajouter quelque chose à la plaidoirie de son avocate – qui ne lui a de toute façon pas été traduite. Il présente une nouvelle fois ses excuses aux victimes.
Déclaré coupable, il est condamné à 12 mois de prison avec maintien en détention ainsi qu’à payer 610 € de préjudice matériel et 500 € de préjudice moral pour les souffrances endurées.
À la fin de la journée, on le reconduira à la maison d’arrêt de Seysses pour 12 mois qui viendront s’ajouter aux 8 mois déjà prononcés en novembre.