« Il faut l’écarter, il faut l’exclure »
Toulouse, chambre des comparutions immédiates, juillet 2023
Le prévenu comparaît pour agression sexuelle. Une après-midi, place du Capitole, très alcoolisé, il a mis la main aux fesses de deux jeunes femmes. Interrogé sur les faits par la présidente, il dit n’avoir aucun souvenir.
La présidente parcourt l’enquête sociale rapide :
— Vous consommez de la drogue.
— Mais non !
— Écoutez, monsieur, c’est écrit dans le rapport. L’enquêtrice n’a pas pu l’inventer.
— On m’a proposé de la drogue le premier jour de prison, mais j’ai dit non. Le lendemain, j’étais pas bien, j’ai pris une trace, mais ça ne m’a pas fait replonger.
La présidente lit ensuite quelques extraits du rapport du Service pénitentiaire d’insertion et de probation :
— « Monsieur a un fonctionnement immature, il recherche le plaisir immédiat et réagit dans l’impulsivité. Il souhaite prendre un emploi dans le BTP. » Et il y a vingt-cinq condamnations sur votre casier : des vols, des affaires de stupéfiant, des menaces, de l’alcool au volant.
La procureure a une question :
— Est-ce que vous vous faites suivre pour vos problèmes liés à vos comportements sexuels ?
— J’ai été suivi en 2018 par un psychologue et par un psychiatre. J’avais quatre rendez-vous par mois. Mais il y en a un qui est parti à la retraite et l’autre n’avait pas beaucoup de temps pour me voir, du coup j’y vais une fois de temps en temps. Il m’a dit de régler d’abord mon problème avec l’alcool. Je lui ai dit : pourquoi je refais toujours ces conneries quand je suis bourré ?
— Alors, on va arrêter avec le terme de « conneries », ce sont des infractions. Les conneries, c’est ce que font les enfants.
— Je ne sais pas comment le dire, je n’ai pas les mots. Quand j’ai été mis en semi-liberté, je me suis dit, faut faire les choses bien. J’ai tenu quatre semaines, mais après j’ai craqué.
— La semi-liberté se passait mal depuis le début. Il y a eu trois rapports d’incident. Vous avez insulté le personnel. Pour ça, 15 jours de mitard, et 2 mois de prison en plus.
— J’ai eu 15 jours de quartier disciplinaire. J’ai envoyé une lettre pour dire que ce n’était pas moi au chef du QD. J’ai pris le cachot, je n’ai pas fait appel, je me suis mutilé, je ne peux pas faire le cachot, je suis faible…
Il est interrompu par la présidente :
— Bon il y a beaucoup de déclaratif, on va revenir au dossier. Les deux plaignantes ne s’étant pas constituées partie civiles, la parole est au parquet.
C’est une procureure stagiaire qui fait les réquisitions, cornaquée par une parquetière confirmée.
— Il continue à multiplier les victimes alors même qu’il est en semi-liberté. Il n’y a eu que deux personnes qui ont porté plainte, mais l’une d’elles vous a vu divaguer entre d’autres jeunes femmes la main tendue pour toucher leurs fesses. Vous êtes un véritable prédateur sexuel, d’autant plus que vous avez été emprisonné pour les mêmes faits en 2018.
Elle lit l’expertise psychologique :
— « Monsieur est dans la pulsion, il n’est pas curable, il est dangereux pour lui-même et pour les autres. » On a le droit de se balader en ville et de faire les magasins sans tomber sur un prédateur sexuel. La semi-liberté est une mesure de faveur. Elle est accordée pour favoriser la réinsertion et vous l’utilisez pour boire et agresser de jeunes femmes ! Monsieur est dangereux pour la société, il faut l’écarter, il faut l’exclure.
Elle demande 18 mois fermes avec mandat de dépôt, 3 ans de suivi socio-judiciaire, une obligation de soins pour l’alcool et l’addiction, et l’inscription sur le fichier des agresseurs sexuels, le Fijais. Puis se rassoit, émue et souriante, tandis que les professionnel⋅les du droit autour d’elle lui adressent des petits signes d’approbation.
L’avocate commence sa plaidoirie :
— Contrairement à ce qu’a l’air de dire madame la procureure, l’alcoolisme est une maladie dont il est compliqué de se sortir. Par ailleurs des témoins l’ont dit : il était tellement alcoolisé qu’il a failli se faire renverser par un vélo. Ce n’est pas un dangereux prédateur, il ne tient pas debout ! Et il n’a pas nié les faits. C’est un homme qui a eu une enfance cabossée, qui a subi des violences sexuelles de la part de son beau-père, avant d’être élevé seul par sa mère. Il a un CAP en maçonnerie et plomberie, mais il est rattrapé par son enfance : il a fait plusieurs tentatives de suicide et se scarifie. L’expert a retenu une altération du discernement. Et il y a eu une autre expertise, pendant la garde à vue, où l’expert conclut qu’il est capable d’empathie à l’égard des victimes.
Elle demande une peine mixte, dont un sursis probatoire :
— C’est quelqu’un qui a besoin de soins et qui est prêt à se soigner. Ce n’est pas pour pleurer sur son sort, mais à la prison de Seysses, les conditions de vie sont particulièrement compliquées. Et c’est quelqu’un de volontaire : il a trouvé un travail dans la semi-liberté. Il ne rechigne pas à la tâche ! On ne voit pas ça tous les jours dans les dossiers de comparution immédiate.
Le dernier mot est au prévenu :
— Je suis désolé pour les victimes.
L’assesseur de droite souffle ostensiblement.
Il est condamné à un an de prison, dont 6 mois de sursis probatoire. Il est maintenu en détention pour les 6 mois restants. Le tout assorti d’une obligation de soin et d’une obligation de travail.