L’association de malfaiteurs terroriste : un procès d’intention

L’association de malfaiteurs terroriste : un procès d’intention

Ce mois-ci, Tapage poursuit sa série d’émissions sur la justice antiterroriste et se penche sur l’affaire dite du 8 décembre. 

Le 8 décembre 2020, neuf personnes sont arrêtées dans toute la France par la direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI). À l’automne 2023, sept d’entre elles sont jugées et condamnées pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Pourtant, malgré près de trois ans d’investigation, des mois d’écoutes et plus de trois semaines d’audiences, aucun passage à l’acte imminent n’a pu être établi. Si les procureurs eux-mêmes ont reconnu qu’il n’y avait pas « la preuve d’un projet abouti », la justice a condamné « une intention », déduite d’éléments matériels aussi divers que la détention d’armes – légales pour certaines –, l’utilisation de la messagerie Signal ou la lecture de brochures sur la justice antiterroriste.

Comment la justice prétend-elle prouver une intention ? Et surtout comment peut-on se défendre des intentions qu’elle nous prête ? Pour tenter de comprendre la mécanique infernale de la justice antiterroriste, Tapage s’est entretenu avec B., l’un des condamnés de l’affaire du 8 décembre.


En guise d’introduction à la justice anti-terroriste et à sa dimension préventive, vous pouvez écouter notre entretien avec Vanessa Codaccioni : https://lasellette.org/comment-les-etats-repriment-entretien-avec-vanessa-codaccioni/

Pour soutenir les inculpé⋅es du 8 décembre, qui passeront en appel au printemps 2026 : ⁠https://soutienauxinculpeesdu8decembre.noblogs.org/

« Vous êtes face à des individus exploités »

« Vous êtes face à des individus exploités »

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, octobre 2020

Deux jeunes Pakistanais comparaissent. Bilal C., très soigné, a une petite trentaine d’années. Il arrive d’Espagne. Ali L., en t-shirt et cheveux aux épaules, a à peine vingt ans.

Lors d’un contrôle dans le quartier de Bagatelle, les policiers s’aperçoivent qu’ils ont des documents falsifiés : un faux récépissé de demande d’asile pour le plus âgé, et de faux papiers grecs – permis de conduire et passeport – pour Ali L. Les deux sont immédiatement interpellés.

Au cours de l’enquête, on découvre dans le téléphone de Bilal C. des photos du « terroriste au hachoir », un jeune Pakistanais qui avait grièvement blessé deux personnes à côté des anciens locaux de Charlie hebdo un mois plus tôt. L’affaire prend immédiatement une autre tournure.

Des investigations approfondies sont menées. Elles n’amènent à la découverte d’aucun projet terroriste. En revanche, la perquisition de leur domicile a permis de trouver deux photos où les prévenus posent avec des armes au Pakistan. Quoique ce ne soit pas interdit, ça intéresse visiblement plus la présidente que les faux papiers. Elle y revient à plusieurs reprises : « Quelle explication avez-vous pour ces photos ? » « Et la photo de l’individu qui a tenté de commettre un attentat ? » « Comment ça se fait qu’on trouve des photos de pistolet dans votre téléphone ? »

La traduction de l’interprète est incompréhensible, mais comme d’habitude, ça ne gêne personne. Devant la perplexité de la présidente, le plus jeune finit par essayer de s’expliquer en français :

— Au Pakistan les gens ont des problèmes entre eux. C’est un ami qui m’a envoyé ces photos.

Le plus jeune est là depuis deux ans : il n’a pas de casier et vit de petits boulots. Son compagnon plus âgé n’est à Toulouse que depuis deux jours.

— Qu’est-ce qu’il est venu faire en France ?

L’interprète a de nouveau des difficultés pour traduire, et c’est le plus jeune des prévenus qui répond à sa place :

— Lui aussi il est venu travailler.

Même si le procureur reconnaît que l’enquête n’a trouvé aucun élément permettant d’impliquer les prévenus dans un projet terroriste, il peine à en faire son deuil :

— Des interrogations persistent sur les raisons qui leur font faire usage de faux papiers !

Il n’est apparemment pas convaincu par la possibilité qu’ils en aient eu tout simplement besoin pour travailler. Il en reste cependant à ces allusions et demande entre 4 et 6 mois de prison ferme et le maintien en détention.

Les réquisitions vite expédiées, c’est à l’avocat de la défense de se lever :

— Les temps étant ce qu’ils sont, on comprend l’inquiétude à la vue de ces photos. Ce sont les images d’un pays où la culture est un peu différente, d’un pays en guerre avec les pays frontaliers. Ce n’est pas la France, on n’y vit pas de la même manière. Vous êtes face à des individus exploités. Ceux qui profitent de l’utilisation de ces papiers, ce ne sont pas eux. Eux reçoivent les miettes. Eux n’ont que le droit de se taire et de travailler toujours plus. Ce sont des pions interchangeables qui sont victimes du système, des victimes fuyant la misère. La peine requise n’a pas de sens par rapport à leur situation. Il n’est pas nécessaire de les enfermer davantage qu’ils ne le sont déjà.

Il demande une peine symbolique.

Son indignation ne trouble pas le tribunal, qui dépasse très largement les réquisitions en les condamnant à un an d’emprisonnement et les maintient en détention.