Toulouse, chambre des comparutions immédiates, janvier 2022
Abderrahmane B., pas même vingt ans, né à Alger et SDF a été arrêté avant le week-end.
Il est frêle, a quelques mèches blondes et la voix claire.
Il comparaît pour un vol à la roulotte, c’est à dire un vol commis dans un véhicule, aggravé par la récidive et la dégradation du bien. Néanmoins, la présidente note immédiatement qu’il y a une difficulté dans la qualification de l’infraction : rien n’a été volé.
Elle résume néanmoins les faits :
— Dans l’après-midi, la police municipale a été avisée par l’opérateur chargée de la vidéosurveillance qu’un vol était en train d’avoir lieu. Il signale que trois individus sont autour d’une BMW, et que l’un d’entre eux, le prévenu, a brisé la vitre arrière droite avec son coude. Il est rentré dans le véhicule, ressorti, puis a rejoint les deux autres, qui étaient déjà partis en courant. Les trois sont ensuite identifiés place Belfort. Les policiers municipaux se rendent sur place et arrêtent celui qui est rentré dans la voiture.
Chantal C. est l’utilisatrice de la voiture, qui lui est prêtée par son employeur. La police a recueilli son témoignage : « Rien n’a été volé, si ce n’est peut-être un badge de télépéage. » Elle devait vérifier mais elle n’a jamais rappelé le commissariat. Elle n’a pas souhaité porter plainte.
— En garde à vue, Abderrahmane B. a reconnu les faits : il avait faim et cherchait quelque chose qui allait lui permettre de se nourrir. Il dit n’avoir rien volé. Quand on lui parle du badge, il répond : « Que voulez-vous que je fasse de ça ? »
Le prévenu maintient ses déclarations :
— Je reconnais que j’ai cassé cette vitre, je n’étais pas dans mon état normal. Ça fait à peine un mois que j’étais sorti de détention. J’ai réalisé que je risquais gros, j’ai tout de suite regretté. Je prends des cachets, ça n’aide pas à être raisonnable.
Ça n’apparaît pas encore sur son casier judiciaire, mais en septembre 2021 il a été condamné à quatre mois de prison pour un autre vol à la roulotte. Pendant sa détention, on lui a notifié une obligation de quitter le territoire. Dans l’attente de son départ, il n’a pas été placé au centre de rétention mais assigné à résidence.
— Vous deviez pointer au commissariat.
— Et je n’ai jamais raté !
La présidente reprend maintenant les quelques éléments de l’enquête sociale rapide :
— Vous avez grandi en Algérie, pays que vous avez quitté en août 2021 parce que vous ne vous entendiez pas avec votre beau-père. Vous avez arrêté l’école en quatrième. Vous avez fait un stage en pâtisserie en Algérie, mais n’avez jamais travaillé.
Avant qu’on passe aux réquisitions du procureur, l’avocate de la défense a une question :
— Vous avez des traces de scarification sur le torse et le ventre. D’où viennent-elles ?
— C’est en Algérie que j’ai eu ça.
Elle insiste pour avoir des précisions. Le prévenu parle longuement avec l’interprète, qui finit par se tourner vers l’avocate :
— Votre client ne répond pas à la question.
Elle explique donc à sa place :
— Quand on se scarifie, c’est qu’on a de grandes souffrances psychologiques.
Abderrahmane B. finit par expliquer sobrement :
— C’est à cause de problèmes familiaux.
Dans ses réquisitions, le procureur reconnaît que rien n’a été volé et propose donc de requalifier les faits en tentative de vol. Soudainement libéral, il reconnaît du bout des lèvres :
— Une tentative de vol, quelque part c’est un peu moins qu’un vol.
Il ne voit pas de difficulté pour établir les faits mais s’agace en trouvant que ce prévenu ne fait pas plus d’effort que le précédent :
— Les faits montrent qu’il est lui aussi enlisé dans un parcours de délinquance. Il dit tranquillement qu’il venait de sortir de prison !
Il demande 8 mois, dont 4 fermes assorti d’un mandat de dépôt.
L’avocate n’est pas d’accord pour requalifier les faits en tentative de vol :
— Avant même d’avoir volé quoi que ce soit, il réalise qu’il est en train de commettre une erreur et va partir. La victime confirme que rien n’a été volé parmi ses affaires personnels. Il a dégradé, mais il n’a rien soustrait. Vous pouvez donc retenir la dégradation du véhicule, mais pas la tentative de vol. D’autant plus que ce n’est pas l’intervention de la police qui a mis fin à l’infraction : il a été interpellé plus tard.
Les dommages étant légers, la voiture assurée, elle suggère qu’on pourrait le condamner à ne payer qu’une amende.
— Quand il est arrivé en France, on ne lui a laissé aucune chance : il a commis un vol à la roulotte parce qu’il avait faim et on lui a donné quatre mois fermes sans tenir compte du fait qu’il était un primo-délinquant. C’est un jeune homme de 19 ans, qui a quitté son pays pour des raisons familiales graves. Par pudeur, il ne veut pas parler des scarifications. Mais des stigmates aussi importants montrent à quel point il a vécu des choses difficiles. L’enquête sociale rapide n’a d’ailleurs pas évoqué ce point.
Revenue des délibérations, la présidente annonce que les faits sont requalifiés en dégradation du bien d’autrui et condamne Abderrahmane B. à deux mois avec maintien en détention.