Toulouse, chambre des comparutions immédiates, avril 2023
Quand l’interprète arrive, la présidente lui donne cette étrange consigne :
— C’est pas la peine de tout lui traduire, il comprend.
En situation irrégulière, le prévenu est né en 1984 à Mostaganem en Algérie, il comparait pour violence sans incapacité totale de travail sous la menace d’une arme, en l’espèce une canette coupée en deux.
La présidente parcourt le dossier :
— Dans un supermarché, les vigiles l’ont vu être violent avec son épouse et son fils, à qui il a donné un coup de pied. Ils lui ont demandé de sortir. Le prévenu les a repoussés et a distribué des coups de poing. Puis il a récupéré une canette dans une poubelle, il l’a cassée en deux et a menacé les vigiles avec. [Elle relève la tête du dossier et s’adresse au prévenu.] La responsable du magasin affirme vous avoir entendu vociférer. On vous voit sur la vidéo vous approcher d’elle et lui hurler dessus. Au bout d’un moment, les policiers municipaux sont arrivés et vous ont interpellé. Aucun coup ne vous a été porté par les agents de sécurité.
Le prévenu fronce les sourcils et se penche vers l’interprète pour qu’elle lui traduise cette dernière phrase. En entendant la réponse, il fait non avec la tête.
— Oui, c’est vrai, j’étais énervé, mais je n’ai pas porté de coup. Ce sont eux qui m’ont donné des coups.
— On vous voit menacer les vigiles avec une canette. Pourquoi faites-vous ces grands gestes ?
— Parce que j’avais peur.
— On ne dirait pas. Parce que vous revenez à la charge.
La présidente passe ensuite à l’examen de la personnalité. Le prévenu a plusieurs mentions à son casier, notamment pour des vols et des affaires de stupéfiants.
— Vous deviez repartir en Algérie avec votre femme et vos deux enfants le lendemain.
Il confirme.
— Je voudrais vous dire, je n’ai pas d’autre famille, il faut que je reste avec eux.
La présidente acquiesce distraitement. La procureure a une question :
— Pourquoi est-ce que votre épouse n’est pas partie hier comme prévu ?
— Elle ne peut pas y aller toute seule, on doit y aller ensemble.
Cette histoire de départ manqué embête décidément la procureure. Elle en parle longuement dans ses réquisitions :
— C’est une affaire affligeante. Cette famille a décidé de partir, comprenant qu’elle ne pourra pas rester sur le territoire de manière régulière. Or, aujourd’hui, le sort de monsieur est presque scellé à la justice pénale française, puisque son sursis de six mois a été révoqué. Et Madame prend fait et cause pour son conjoint ! Ils ne partiront pas tant que Monsieur sera là. On nous prend en otage. Mais quelque part, heureusement qu’il y a eu cette altercation : il y avait une échauffourée dans le couple et on voyait bien que monsieur avait l’ascendant sur Madame.
Elle conclut d’un air entendu :
— Bon, il y a peut-être des données culturelles dans ce dossier.
Elle demande cinq mois de prison avec mandat de dépôt, et la révocation d’un précédent sursis de six mois. Et pour ce qui est de leur retour en Algérie, la procureure a une idée dont elle semble contente :
— Une fois en prison, il suffit qu’il aille voir le service pénitentiaire d’insertion et de probation pour demander une libération conditionnelle pour expulsion au juge de l’application des peines.
L’avocate de la défense prend la parole :
— Il y a des fragilités dans le dossier. Pour commencer, sa femme a déclaré : « Ils ont cru qu’on se disputait. Ils l’ont pris par les bras, ils l’ont fait tomber et l’ont roué de coups. Il a été blessé. » Moi, sur les vidéos, je ne vois rien. Ensuite, le vigile le dit lui-même : « Je me suis pris les pieds dans le tapis, je suis tombé, je ne sais pas s’il a blessé quelqu’un. » Le deuxième vigile le confirme : « Il ne m’a pas touché. » Vous ne pouvez pas entrer en voie de condamnation pour des violences. Faire des grands gestes, ce n’est pas de la violence.
Quant au fait que sa femme ne veuille pas partir sans lui, elle ne voit pas en quoi ce serait un problème : « C’est son droit le plus strict. »
Pendant que le tribunal délibère, l’avocate s’avance vers la femme du prévenu, dans la salle avec deux amies.
Elle s’étonne de la voir pleurer. Ses deux amies traduisent :
— Elle a peur pour ses enfants.
— Mais pourquoi ? Il faut la raisonner. Même si elle ne parle pas français, il ne faut pas être idiote.
Sur ce, elle regagne son banc.
Quand le tribunal revient, il déclare le prévenu coupable et l’envoie pour onze mois en prison.
La femme du prévenu se lève et demande timidement à l’avocate si elle peut lui parler. Celle-ci fait un geste désinvolte et s’éloigne. Le prévenu tend les bras vers sa femme qui s’avance vers le box, mais il est déjà poussé vers la sortie par la sécurité.