Toulouse, chambre des comparutions immédiates, octobre 2021
Yves T., ivoirien d’une quarantaine d’années, se tient debout dans le box, l’air furieux.
La présidente peine à lui imposer les règles de l’exercice :
— Vous devez vous asseoir, et vous ne pouvez parler que quand on vous donne la parole.
Ça ne marche pas très fort. Après avoir réussi tant bien que mal à le faire taire, elle s’adresse à ses assesseurs :
— Un examen psychologique est visiblement nécessaire mais il n’a pas été possible compte tenu de l’attitude de monsieur, qui a refusé de répondre aux questions.
Il existe en revanche une expertise établie en juillet 2020 qui a conclu à l’abolition du discernement. Elle en cite les conclusions : « Monsieur est schizophrène, souffrant entre autres d’hallucinations auditives constantes. Il n’était pas accessible à une sanction pénale. »
À défaut d’une expertise pour cette affaire-là, la présidente propose — d’un air un peu embarrassé — que cette expertise serve de référence au tribunal sur ce dossier.
Vient le rappel des faits : Yves T. faisait la manche devant l’hôpital Purpan. Des patients se sont plaints de son agressivité. Un agent de sécurité est intervenu « pour qu’il arrête de les importuner ».
Le prévenu l’a insulté, menacé de mort puis a tenté de porter des coups. Il a même déchiré son t-shirt. Il est décrit par les témoins et les forces de l’ordre comme agité, instable, ne semblant pas jouir de toutes ses facultés mentales.
Estimant qu’elle ne pourra pas interroger le prévenu comme à son habitude, la présidente innove pour contourner la difficulté :
— Je propose que son avocate réponde à la place de monsieur T., parce que c’est difficile d’obtenir quelque chose de lui.
L’air très surprise, l’avocate se lève à demi.
Mais le prévenu n’entend pas se faire priver de la parole si facilement :
— Dix ans que je suis en France, je n’ai pas de revenus. Est-ce que c’est interdit de faire la manche ?
Il le répète en boucle et la présidente s’empresse de noter qu’il a l’air de fort bien savoir pourquoi il est là – ce qui, nuance-t-elle vertueusement, « n’empêche pas qu’il y ait par ailleurs des difficultés ».
Il a plusieurs condamnations sur son casier judiciaire, notamment pour des faits de vol et de violence ; jusqu’à l’affaire de septembre 2020, où il a été déclaré irresponsable pénalement et interné d’office à l’hôpital psychiatrique Purpan.
Le prévenu continue à parler pendant ce temps. Et puis il reste debout, ce qui a l’air de déstabiliser la présidente. Elle lui répète qu’il peut s’asseoir.
Elle finit par ruser :
— Je dis ça pour votre confort !
— Non, je suis sportif.
Ne sachant plus quoi faire, elle durcit le ton :
— Les débats doivent se dérouler sereinement. Si vous continuez, je vous fais sortir.
Il continue. La sécurité l’emmène de force. Il proteste. Et on l’entend vociférer longtemps après son départ. Jusqu’à ce qu’une personne de la sécurité ferme les portes qui mènent aux geôles, restées entrouvertes.
La procureuse commence son réquisitoire :
— On doit demander de l’argent poliment ! En plus Purpan est aussi un hôpital pour enfant… (Silence entendu) Il agresse des parents qui vont voir un enfant malade !
Elle insiste sur le fait qu’il doit être jugé comme pleinement conscient de ses actes : contrairement à l’affaire de 2020, rien ne dit que le discernement est aboli dans cette affaire-là.
— Un expert aurait pu déclarer son discernement altéré , mais il ne nous en a pas laissé la possibilité, puisqu’il a refusé de se rendre au service médico-psychologique de la prison. Il a aussi refusé de rencontrer les enquêteurs chargés de faire l’enquête sociale.
C’est donc entièrement de sa faute si on n’a aucun renseignement sur son état psychologique.
La conclusion s’impose :
— Je considère qu’il est responsable pénalement étant donné que nous n’avons pas la preuve du contraire.
Elle demande neuf mois ferme et le maintien en détention, au vu de son évidente dangerosité – il n’y a qu’à voir ses nombreux passages en prison.
Pour sa part, l’avocate d’Yves T. était impatiente d’avoir une expertise :
— L’officier de police judiciaire indique qu’il tient des propos incohérents et refuse de rencontrer les experts. Ça montre bien qu’il y a abolition du discernement, sinon il aurait compris que c’était dans son intérêt de se faire examiner. À défaut de l’irresponsabilité pénale, il faut au moins considérer qu’il y a une altération qui doit amener à abaisser la peine.
Très investie, la parquetière fait non avec la tête d’un air mécontent. On entend le prévenu crier au loin.
Derrière, une femme qui le connaît commente avec sa voisine :
— c’était quelqu’un d’attachant, c’était un ami à moi, avant qu’il soit malade.
Le Tribunal revient de la salle des délibérés, on a ramené Yves T. dans le box pour qu’il entende la sentence : la présidente le déclare coupable et le condamne à cinq mois de prison avec maintien en détention.
— Nous avons tenu compte de ses difficultés, mais l’absence d’expertise nous oblige à le considérer pénalement responsable. SDF, sans papier, sans aucune garantie de représentation, comment faire autrement ?
L’avocate d’Yves T. hoche la tête d’un air compréhensif. La présidente continue :
— Mais je vais remplir une notice individuelle qui demande son examen par un psychologue dès son entrée en prison.
Entre-temps quelqu’un s’est approché du box pour expliquer à Yves T. sa peine, « Tu as pris cinq mois. » Lui répète inlassablement : « Je faisais la manche. »