Toulouse, chambre des comparutions immédiates, avril 2022
Dans la salle, deux écrans ont été déroulés : l’un derrière les magistrats, l’autre en face d’eux, dans le dos du public. Apparaît une pièce de la prison de Seysses. Un homme en fauteuil roulant est amené. Il est assez loin de la caméra et on distingue mal son visage. Il sera jugé en visio pour des violences conjugales. Le tribunal n’est pas encore arrivé. L’homme ne voit pas le public. Il attend. Il chantonne. Il s’ennuie peut-être ?
L’avocate demande à s’entretenir avec lui. Elle a été désignée en fin de matinée et n’a pas encore pu le voir. La salle est évacuée. Après dix minutes, tout le monde entre de nouveau.
Enfin la présidente et ses deux assesseurs arrivent. L’audience commence classiquement, la présidente demande son identité et sa date de naissance au prévenu :
— Pardon, je vous entends parler, mais je ne comprends pas. Attendez.
Il souffle vigoureusement sur le micro, bruit de tempête dans la salle. La présidente reprend la main :
— Bon, vous êtes né en Espagne en 1937.
85 ans, donc.
— Et vous comparaissez pour des violences en récidive sur votre épouse.
Le vieil homme n’entend rien. Il tapote casque et micro pour améliorer la situation. Les grésillements sont insupportables. La présidente craque :
— Je fais le constat que je n’entends pas. D’autant plus que monsieur y met de la mauvaise volonté.
— Absolument, madame la présidente !
C’est bien sûr une intervention du procureur – légion d’honneur bien en vue sur sa robe.
— Le dossier n’est pas en état d’être jugé : il manque l’expertise psy, obligatoire étant donné que monsieur est sous curatelle renforcée.
Le renvoi est donc imposé par la loi. Reste à savoir si l’homme attendra son procès en prison. Le procureur décoré commence ses réquisitions :
— Ce monsieur ne fait pas pitié, il fait peur ! Et je ne suis pas surpris qu’il se conduise ainsi ! On l’a condamné la dernière fois par comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), parce qu’on a voulu tenir compte de son âge… Il se moque de la justice ! Il connaît l’angélisme de beaucoup de tribunaux ! Il pense : « On ne me mettra pas en prison parce que je suis sur chaise roulante », mais quand il boxe sa femme, il change de pièce en chantonnant.
C’est vrai que le prévenu aime bien chantonner. Il fredonne d’ailleurs pendant que les gens de justice parlent de lui.
Dès le début de sa plaidoirie, l’avocate signale que le curateur n’a pas été avisé de la date d’audience :
— Dans ces conditions, monsieur X. ne peut pas décemment préparer sa défense.
— Mais bien sûr que si !
C’est encore une intervention du prestigieux procureur.
— Non, la présence du curateur est essentielle justement parce que le prévenu est une personne vulnérable. Il aurait apporté des pièces nécessaires, notamment sur la possibilité de trouver un logement alternatif. Le prévenu est en détention provisoire à Seysses et il devrait y rester parce qu’il n’y a pas eu l’expertise obligatoire avant la date d’audience ? On sait que les conditions de détention à Seysses sont déplorables, et notamment pour les personnes en situation de handicap : elles ne peuvent pas se déplacer comme elles le souhaitent, parce qu’elles sont plusieurs dans la cellule, à cause de l’étroitesse des portes, de l’absence de rampes d’accès…
La présidente en a marre :
— On ne va pas faire le procès de la maison d’arrêt de Seysses !
— Je dois bien le dire ! Et sa femme est effondrée par son incarcération, elle ne voit aucun inconvénient à ce que monsieur revienne dans son logement. Sa place n’est pas en prison.
L’avocat de l’épouse, partie civile, abonde dans son sens :
— Ma cliente est mariée avec lui depuis 66 ans. Elle ne souhaite pas divorcer. Elle se fait un sang d’encre, elle ne comprend pas où est son mari. Oui, c’est avec elle qu’il se dispute, mais c’est aussi son soutien au quotidien. Oui, c’est houleux, c’est compliqué, mais il n’est pas sous curatelle renforcée pour rien. Il est tout simplement grabataire. Et on a osé dire qu’il chantonnait pour se moquer !
Pendant que le tribunal délibère, le prévenu continue de chantonner en visio. Le procureur finit par aller voir la greffière pour essayer de couper le son. Ils n’y arrivent pas.
Retour des délibérations :
— Il n’y a pas la preuve dans le dossier que le curateur a été avisé de la date d’audience.
En attendant le procès en juin, le tribunal ordonne la remise en liberté compte tenu de l’absence de curateur pour le débat.
Pendant tout ce temps, le prévenu essaye de rebrancher les écouteurs et le micro.
— Je ne vous entend pas, je n’arrive pas à comprendre. J’ai entendu « curateur ».
— On ne va pas vous juger aujourd’hui, vous allez être libéré tout à l’heure.
— Ah.
— Et j’ordonne une expertise psy.
— Hein ? [Il met la main derrière son oreille.] J’ai rendez-vous avec le curateur le 22 !
— Oui, oui. Vous pouvez signaler au surveillant que c’est terminé !
— Est-ce que vous m’entendez ? Je vous ai dit que j’avais rendez-vous le 22 !
La greffière coupe la visio.