L’honneur des pompiers

6 octobre 2021 | Chroniques d’audience

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, juillet 2021

Éric A., visage tatoué, sourcils froncés, est né à Sète en 1975. Il est accusé de violences sans ITT sur personnes chargées d’une mission de service public – en l’occurrence des pompiers – et de détérioration de biens publics.

— Vous aviez consommé deux bouteilles de whisky avec l’ami qui vous héberge. Vous étiez dans un état d’alcoolisation massif que vous avez reconnu. Votre ami vous a proposé de la cocaïne et, comme vous n’avez pas l’habitude, vous avez mal réagi.

Le voyant perdre connaissance, son ami a appelé les pompiers. À leur arrivée, Éric A. a repris conscience, mais s’est montré très agressif : il les a insultés, leur a lancé une chaise, a donné un coup de pied à l’un d’entre eux en criant : « Dégagez ! Dégagez ! » Les pompiers ont quitté les lieux, mais le prévenu a suivis dehors et a cassé le rétroviseur de leur véhicule.

En garde à vue, Éric A. a affirmé ne plus se souvenir de rien. Les trois pompiers donnent de leur côté des versions tout à fait concordantes.

— La mémoire vous est revenue aujourd’hui ?

Éric A. fait non de la tête, l’air accablé. Il garde les yeux au sol, parfois secoué par un sanglot.

Il a travaillé plus de quinze ans dans le dressage de chevaux, mais a perdu son emploi il y a deux ans et touche depuis le RSA. Entre 1995 et 2000, il a été condamné à cinq reprises, pour des vols et des faits de violence. En 2000, il a passé un an en prison pour dégradation d’objets d’utilité publique.

La présidente lève la tête du dossier et regarde Éric d’un air entendu :

— Alors ?

Comme le prévenu ne comprend pas – le public non plus –, elle précise qu’elle trouve très significatif que deux fois en vingt ans il s’attaque aux biens de la collectivité, en l’espèce un rétroviseur public.

— Et pendant vingt ans, on n’a plus entendu parler de vous. Comment expliquez-vous ça ?

— C’est l’alcool. Mais attention, je ne dis pas ça comme une excuse.

— Ah oui, sur le plan juridique, c’est même une circonstance aggravante !

L’avocat des parties civiles a la coupe de cheveux de Rimbaud et beaucoup d’indignation :

— « Je ne me souviens de rien. » Ils disent tous ça. Ce dossier est d’une banalité affligeante. Les pompiers sont là pour aider ! [S’adressant directement à Éric A.] À 2 h 30, ils sautent dans leur camion et viennent ventre à terre vous aider !

Dans le box, le prévenu continue d’écouter tête baissée l’avocat qui poursuit :

— C’est toujours le même schéma désagréable, qui déclenche un découragement absolu. Ça ne les heurte pas physiquement – ils se portent bien – mais psychologiquement. Ce qui les guide ce sont des valeurs supérieures d’entraide, de solidarité. Ce qui s’est passé est une atteinte à des valeurs que nous devrions tous partager !

Valeurs qu’il demande d’indemniser comme suit : 1 000 € de préjudice moral pour celui qui a reçu le coup de pied ; 800 € pour les deux autres ; 237 € pour le rétroviseur ; 800 € pour leurs frais de justice.

Le procureur estime que les choses ont été fort bien dites par la partie civile. Sans s’attarder sur le détail des violences – le coup de pied –, il évoque les valeurs honteusement piétinées par le prévenu.

— Ces hommes portent assistance à chacun sans contrepartie. Aucune valeur n’est supérieure à ça !

Il fait une concession à l’époque – « Ce ne sont pas les seuls, les soignants aussi » – avant de revenir à l’honneur des pompiers : 

— Ce sont ces valeurs qui ont été bafouées ! Et c’est la totale ! – si vous me passez l’expression. Violence, menaces, dégradation des biens de la collectivité. Ces biens que nous payons avec nos impôts, justement parce que nous souhaitons consacrer le plus de moyens possible à aider nos concitoyens. Au regard de la gravité des faits, je demande donc huit mois fermes avec mandat de dépôt.

L’avocate rappelle que la dernière mention pour violence date d’il y a vingt et un ans.

— Actuellement mon client essaye de reprendre sa vie en main, il a une compagne, il a repris le contact avec ses filles. Ce qui lui manque, c’est un travail. Or il a une formation en dressage de chevaux, ce n’est pas si facile de trouver un emploi dans cette branche.

Il est déclaré coupable et condamné et à huit mois de prison, dont quatre avec sursis probatoire (obligation de soin et de travail pendant deux ans). Sans mandat de dépôt, ce qui lui permettra de préparer un aménagement de peine et surtout de rentrer chez lui ce soir. Il devra rembourser le rétro, payer pour les frais de justice et réparer le préjudice moral : 600 € pour le pompier à qui il a donné un coup de pied et 400 € pour les deux autres. Le prévenu lève la tête et regarde longuement le plafond ; son avocate lui fait signe qu’elle va venir le voir aux geôles du palais.

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