Toulouse, chambre des comparutions immédiates, mars 2024
Mira B. et Jelena D., nées à Sarajevo il y a 19 ans, comparaissent pour avoir volé leur carte bleue à 27 personnes, approchées sous différents prétextes pendant qu’elles rechargeaient leur titre de transport.
D’emblée, la présidente est réprobatrice : « La plupart des victimes sont des dames âgées. L’une d’elles avait même une canne ! » Avec les cartes volées, les prévenues allaient immédiatement retirer de l’argent et faire quelques courses. Deuxième indignation de la présidente : « Il y a des achats au bureau de tabac et dans un magasin de cosmétiques ! »
Si encore elles avaient acheté du pain ! Elle les interroge :
— Pourquoi êtes-vous entrées dans ce système ? Parce qu’on a l’impression que c’est un véritable mode de vie.
— Nous, on vole parce qu’on n’a pas de travail, pas d’argent…
— Je vois à peu près le discours. Mais ce qu’on veut savoir, c’est qui il y a derrière vous. À qui va l’argent ?
— Pour les vêtements, pour manger, pour les enfants.
— Ce n’est pas une explication. En France, il y a des associations qui distribuent de la nourriture et prennent en charge les enfants en bas âge. Vous faites partie d’un réseau ?
— Non !
— Bon, après tout, vous avez le droit de raconter ce que vous voulez, hein !
Sans perdre plus de temps, elle s’adresse à la deuxième prévenue :
— Vous êtes enceinte de 6 mois et vous avez déjà deux enfants qui ont 4 et 1 an alors que vous n’avez que 19 ans… C’est le même papa ?
— Les deux premiers oui, mais pas celui dont je suis enceinte.
— Où sont les enfants ?
— En Bosnie avec leur père.
— Qu’est-ce que vous faites ici, alors ?
Mais elle n’écoute pas vraiment la réponse et passe rapidement la parole à deux messieurs respectables pour qu’ils témoignent des tracas occasionnés par le vol. Après leurs demandes de réparation de leur préjudice moral, la procureure commence ses réquisitions. Comme toujours pour la magistrate du parquet, les faits sont à la fois très simples et très graves, d’autant plus qu’ils n’ont pas été commis pour acheter seulement le strict nécessaire – voilà qu’à son tour elle évoque les associations qui distribuent à manger.
Elle finit en martelant que « les pickpockets sont un fléau ! » et demande donc tout naturellement 30 mois de prison dont 15 de sursis. Désolée de ne pas pouvoir requérir d’interdiction du territoire pour cette infraction, elle se résout à ne demander que l’interdiction de séjour en Haute-Garonne pendant 3 ans.
Les deux avocats plaident le parcours de misère – « Ce sont des jeunes femmes qui ont eu assez peu de chance dans la vie » –, même si l’un tente un mouvement audacieux :
— On va se dire les choses : ces jeunes filles seront expulsées du territoire. Pourquoi leur faire passer 15 mois en détention à Seysses avant ?
La présidente rend le délibéré : elles sont toutes les deux condamnées à 24 mois de prison, dont 12 mois de sursis, et maintenues en détention pour la partie ferme. « Et là elles repartent en détention, est-ce qu’elles ont bien compris ? » Pas sûr mais peu importe, l’escorte les ramène aux geôles. Quelqu’un se chargera bien d’annoncer à Jelena D. qu’elle accouchera en prison.