« Le misérabilisme, on va arrêter là ! »

21 mars 2022 | Chroniques d’audience

 Toulouse, chambre des comparutions immédiates, janvier 2022.

Mohammed G. est né en 1994 à Oran. Il n’a pas de domicile fixe.

En 2021, il a volé deux téléphones à la station de métro François Verdier. Il a pris le premier, en juin, dans la poche de Mme M. au moment où elle passait son ticket dans la borne. Pour les faits d’octobre, ils étaient deux. Ils ont engagé le dialogue avec la victime, qui s’est rendu ensuite compte que son téléphone avait disparu.

La présidente explique que Mohammed G. a été reconnu par les services de police à une entrée du métro :

— En consultant les fichiers, ils s’aperçoivent qu’il a déjà deux Obligations de quitter le territoire (OQTF). Et il en aura peut-être une troisième dans ce dossier. C’est dire l’efficacité de tout ça ! On peut en prendre une, deux, trois, et pourquoi pas quatre ? Pas de difficulté.

Réflexe corporatiste, elle se sent tenue de préciser que ce manque de diligence est le fait des services administratifs, pas des services pénaux.

— Il ne reconnaît que parce qu’on lui met sous le nez les vidéos, qui sont d’une parfaite clarté. Avec cet argent, il a mangé, il a bu, il s’est habillé. Qu’a-t-il à dire sur les faits ?

— Je vais travailler, je vais rembourser, je veux m’excuser. C’est parce que j’avais très faim. Maintenant, même si j’ai faim, je ne volerai pas.

— Le misérabilisme, on va arrêter là ! Vous êtes en état de récidive légale, vous avez plusieurs mentions sur votre casier, dès 2015, devant le tribunal pour enfants. Alors quand vous nous dites que vous n’allez pas recommencer…

Et elle ânonne – c’est sa marotte – qu’il y a « des associations caritatives et humanitaires qui peuvent vous donner de la nourriture ». Au cas où il y aurait un malentendu, elle ajoute :

— Comme dans tous les pays du monde, la loi ne permet pas de se nourrir en volant autrui.

— Je ne connais pas ces associations.

— Vous indiquez être arrivé en 2020, mais vous êtes condamné en France en 2015.

— En 2016, je suis retourné en Algérie.

— Mais pourquoi êtes-vous revenu puisque vous avez vu qu’en arrivant de manière irrégulière il était difficile de survivre ?

— Je n’ai personne en Algérie, mes frères sont petits. Je suis venu en France pour les entretenir. Mais je n’ai pas trouvé de travail ici non plus.

La présidente précise qu’il travaille au noir sur les marchés. C’est le seul élément qu’elle mentionnera de l’enquête sociale rapide. Elle est plus à son aise dans le registre pénal :

— Vous avez des alias. Pourquoi est-il enregistré sous plusieurs identités ?

— J’étais jeune, j’étais immature, je donnais de faux noms.

— Et vous avez été condamné en janvier 2021…

— J’avais rien fait !

— … pour vol en réunion.

— C’était pas moi !

— C’est agaçant à la fin. Si vous avez été condamné c’est bien que vous avez été reconnu coupable !

Raisonnement imparable et heureuse confiance dans l’institution.

Une des deux victimes, présente dans la salle, est appelée à témoigner à la barre.

— Ils m’ont collé physiquement. Mais il y avait un dominant et un dominé. Le jeune garçon [en désignant le prévenu] était dirigé par un autre homme. Je le sentais très faible.

Elle explique que les deux personnes en voulaient vraisemblablement à son vélo pliant.

— Ils ont proposé de m’aider à le porter, probablement pour partir avec.

Elle demande entre 200 et 300 € de préjudice matériel. Plus incertaine sur le préjudice moral – « pour moi, ce garçon n’est pas celui qui m’a atteint le plus » –, elle finit par demander 200 € , non sans hésiter.

L’autre victime demande 486 € pour le téléphone et 300 € de préjudice moral.

La présidente justifie les demandes :

— Effectivement, ce type de rapprochement corporel peut s’assimiler à un frottement.

Elle raille le manque de courage des voleurs qui préfèrent s’attaquer à des jeunes femmes plutôt qu’à des rugbymans, à la loyale. La salle rit avec elle de leur lâcheté supposée.

Dans ses réquisitions, le procureur embraye sur le fait que c’est une atteinte à l’intimité et au sentiment de sécurité.

— Par ailleurs, on voit qu’il ne prend pas la mesure de la situation.

Et puis, « il existe des associations – comme madame la présidente l’a dit –, des solutions pour ne pas avoir à voler ». On se demande un peu qui ne prend pas la mesure de la situation. Il demande 5 mois de prison, la révocation du sursis de 3 mois d’une peine précédente et le maintien en détention.

L’avocate signale que, de 2015 à 2021, le prévenu n’a commis aucune infraction, alors même qu’il est revenu en France en 2019. Et elle récite quelques éléments de l’enquête sociale rapide laissés de côté par la présidente :

— À 15 ans, il a perdu son père. Deux ans après, sa mère. Il a deux frères handicapés. L’enquête sociale rapide indique un suivi psychologique. Il prend des médicaments. Il a une fragilité psy qui le rend très influençable. Il a plus besoin de soins que de prison.

Ses demandes sont aussi vagues que sa description de l’état psychologique du prévenu :

— Réduisez le quantum et condamnez monsieur à une peine raisonnable. Quant aux demandes des victimes – pardon, j’ai oublié leurs noms –, je vous demanderai de les évaluer à leur juste proportion.

Il est condamné à 5 mois de prison auxquels s’ajoutent les 3 mois de révocation du sursis avec maintien en détention, ainsi qu’à payer le préjudice matériel et 200 euros de préjudice moral à chacune des victimes.

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