Toulouse, chambre des comparutions immédiates, septembre 2024.
Après la déclinaison de l’état civil de Youssouf A., né en 1997 à Toulouse, le président attaque bille en tête :
— Est-ce que vous travaillez ?
— Je suis en recherche d’emploi mais j’ai trouvé un travail dans la mécanique auto.
— Mais vous avez un contrat ?
— Oui.
— Un contrat à durée indéterminée ?
— Oui.
— Et combien est-ce que vous gagnez ?
Le prévenu hésite et dit qu’il n’a pas retenu. Le président s’apprête à triompher mais la procureure confirme que la défense lui a bien remis une copie du contrat de travail. Le président change son fusil d’épaule :
— Vous ne savez même pas combien vous allez gagner ! Quand on cherche un travail, on s’intéresse à ce qu’on va gagner.
Le prévenu comparaît pour refus d’obtempérer, conduite alcoolisée, le tout en état de récidive légale, et outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique.
Les policiers de la Bac affirment que, quand il les a vus dans leur voiture, son visage s’est fermé et que c’est ce qui les a décidés à procéder à un contrôle.
— Ils ont activé le signal lumineux. Mais au lieu de vous arrêter, vous avez accéléré. Commence une course-poursuite qui va durer 3,8 km avec une conduite dangereuse : vous empruntez des voies de bus et doublez des véhicules par la droite. Malheureusement pour vous mais heureusement pour les autres usagers, vous finissez par être bloqué par la circulation. L’interpellation se passe mal, on vous entend distinctement à la caméra dire : « Je veux que tu meures, policier de merde, je te déteste. »
Le contrôle d’alcoolémie a indiqué que Youssouf A. dépassait les 0,40 mg/l autorisés – en l’espèce, 0,45 mg/l.
— Le policier qui se constitue partie civile a d’ailleurs témoigné : « Il était très énervé quand il m’a reconnu. Je l’ai contrôlé moi-même à un certain nombre de reprises. »
On entend le prévenu murmurer : « Il n’arrête pas de m’arrêter… »
Ça énerve le président :
— Les policiers n’arrêtent pas par plaisir les gens qui ne commettent pas d’infractions. Vous contestez le refus d’obtempérer, vous dites que vous ne l’avez pas vu. Vous contestez aussi l’outrage, vous dites que vous avez juste eu des mots déplacés, que vous regrettez. Et tout ça alors que vous êtes sous bracelet ! Voilà, voilà… Qu’est-ce que vous avez bu ?
— J’avais bu la veille.
— Il faut avoir énormément bu la veille pour qu’il en reste 0,45 mg/l le lendemain ! Pourquoi est-ce que vous ne vous êtes pas arrêté ?
— Je me suis arrêté dès que je les ai vus.
— Pourtant vous n’êtes pas sourds, vous n’êtes pas aveugle. Ils avaient mis le signal lumineux. Vous avez zigzagué, pourquoi avez-vous fait ça si vous ne vous sentiez pas poursuivi ?
— Je jure que je ne les ai pas vus.
— Et les mots déplacés à l’adresse du fonctionnaire ?
Le prévenu ne répond pas immédiatement et le président suppose qu’il n’a pas compris la question :
— « À l’adresse », ça veut dire envers.
— C’est vrai que j’étais fâché.
— Il y a 8 mentions sur votre casier judiciaire. La première en 2016 : 3 mois de prison avec sursis pour refus d’obtempérer, sursis TIG pour vol, des conduites sans permis, du transport de stup’ pour lequel il a eu un an de prison sous bracelet. Vous commettez une nouvelle infraction alors que vous avez bénéficié de mesures généreuses.
— Je voulais juste aller chercher un paquet de cigarettes…
— Je suis moi-même fumeur et ça m’agace de ne pas avoir de cigarettes mais je ne vais pas pour autant me lancer dans une course poursuite !
L’avocate du policier de la Bac plaide rapidement :
— Comme vous l’avez dit monsieur le président, les faits sont d’une banalité affligeante, les policiers ne font que leur travail.
Elle demande 300 € de préjudice moral.
La procureure évoque surtout le profil de Youssouf A. :
— 27 ans et déjà huit mentions sur son casier judiciaire, dont deux refus d’obtempérer et deux conduites sans permis et sous l’emprise d’un état alcoolique. Vous contribuez au fléau routier ! Vous êtes de ceux qui se croient supérieurs à la sécurité de n’importe qui sur la route, que ce soit des enfants ou des femmes enceintes. Toutes les peines ont déjà été essayées : travaux d’intérêt général, jours-amendes, sursis simple… Je n’ai pas d’autre choix que de demander de la prison ferme avec maintien en détention.
Elle rappelle que, depuis une récente réforme, les peines s’additionnent quand l’un des délits est un refus d’obtempérer : elle demande donc 10 mois de prison pour cette infraction et 6 mois pour l’outrage et la conduite alcoolisée.
À titre de peine complémentaire, elle demande l’annulation du permis et l’installation d’un éthylotest antidémarrage sur son véhicule.
L’avocat de la défense ne croit pas du tout au « récit de la course folle » fait par la Bac, d’autant plus que le procès-verbal d’interpellation ne concorde pas exactement avec la déclaration du policier partie civile :
— Quand on lit attentivement le PV, il apparaît que le gyrophare n’a été positionné que tard et que l’avertissement sonore n’a pas été lancé tout de suite, contrairement à ce que déclare le policier qui demande des dommages et intérêts.
Sans qu’ils aient eu l’occasion de se concerter, les deux passagers de la voiture ont dit la même chose que le conducteur : ils n’avaient pas vu les policiers. Ils écoutaient de la musique très fort, ils n’ont pas fait attention. Ils se sont arrêtés quand ils ont vu la voiture.
— Quand on sait par ailleurs que le prévenu a initialement été amené en garde à vue pour transport de stupéfiants, on peut voir les choses un peu différemment : une patrouille de policiers de la Bac croise ce type et s’énerve de le voir là alors qu’ils l’ont récemment arrêté et que selon eux il devrait être en prison. Ils décident sans autre forme de procès de procéder à un contrôle. À la fin, ils sont tellement chafouins de ne pas avoir trouvé de stupéfiants qu’ils se rabattent sur un refus d’obtempérer.
Le prévenu est condamné à 6 mois pour le refus d’obtempérer et à 6 autres mois pour la conduite sous alcool et l’outrage. Il est maintenu en détention. À cela s’ajoutent l’annulation de son permis et l’interdiction de le repasser pendant 2 ans.
Le président conclut joyeusement :
— Voilà, 6 + 6 ça fait 12 !