La main tendue de la justice

18 octobre 2023 | Chroniques d’audience

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, septembre 2023

Les trois juges s’installent pendant qu’Ahmed M. est amené dans le box. C’est le président, au centre, qui pose les questions :

— Monsieur l’interprète, demandez-lui s’il préfère être jugé tout de suite ou s’il veut un délai pour préparer sa défense.

Pris au dépourvu, le prévenu hésite longuement et finit par répondre avec beaucoup d’hésitation qu’il veut être jugé plus tard. Le président se tourne d’un air réprobateur vers l’avocat de la défense :

— Maître, vous n’avez vu ça avec lui ? Vous avez bien été voir votre client dans les geôles ?

Ledit maître se lève précipitamment et bafouille qu’il faudrait peut-être lui reposer la question. Cette fois, le prévenu accepte d’être jugé aujourd’hui. Hilare, le procureur vante la force de persuasion de la défense, qui se rengorge :

— C’est normal, je suis avocat.

Tout le monde rit et le président résume le dossier dans la bonne humeur : Ahmed M. est entré en escaladant la façade chez Aurélie T., où il a volé bijoux, enceinte, carte bancaire. Effrayé par un bruit, il s’est réfugié dans l’appartement voisin, où il a pris un sweat, des cigarettes et un peu d’argent. C’est là que le trouve la police, appelée par Aurélie T.

Le président épluche le casier judiciaire du prévenu. Arrivé du Maroc seul vers l’âge de 11 ans, il a été condamné sept fois par le tribunal pour enfants, toujours pour des vols avec effraction. Le président estime qu’il a été bien accueilli :

— Je vois des peines avec sursis et des mesures éducatives judiciaires. Ces choses étaient faites pour vous accompagner sur le droit chemin. Vous avez refusé de saisir cette main tendue !

En voilà de l’ingratitude ! Mais la pédagogie judiciaire, c’est fini. Aujourd’hui Ahmed M., 18 ans et 20 jours, peut enfin être jugé en comparution immédiate.

— Maintenant, vous n’êtes plus mineur isolé. Avez-vous un titre de séjour ?

On ne comprend pas ce que traduit l’interprète. De toute façon, le président n’écoute pas :

— Vous êtes en France depuis sept ans, pourquoi vous n’avez toujours pas appris le français ?

La réponse n’intéresse personne. Le procureur se lève pour commencer ses réquisitions – et il n’est pas content :

— Sentir la présence d’un étranger chez soi, c’est un scénario cauchemardesque ! Et, sans vouloir faire de sexisme à l’envers, c’est pire quand on est une femme. Le prévenu se contrefiche de toutes les perches qui lui ont été tendues. Aujourd’hui, en France, il y a mille et une façons de recevoir de l’aide, et le prévenu est là, dans le box, à essayer de faire pitié.

Lui, pas dupe, demande trente mois de prison ferme avec mandat de dépôt « parce qu’arrive un moment où il faut que ça s’arrête ».

L’air un peu sonné par ces réquisitions très lourdes, l’avocat se lance dans une plaidoirie peu claire. Il relativise tout de même la bienveillance de la justice des mineurs à l’égard d’Ahmed M. :

— Alors qu’il est passé devant des tribunaux depuis ses 12 ans, la première mesure éducative n’a été prise qu’à ses 17 ans.

Tout de même, trente mois de prison, ça lui semble un peu trop. Moins sûr de sa force de persuasion qu’au début, il demande au tribunal de ramener la peine à « de plus justes proportions ».

Après avoir délibéré trois minutes avec ses collègues, le président annonce au prévenu qu’il est condamné à 18 mois fermes. L’air perdu, Ahmed M. est ramené dans les geôles en attendant d’être conduit à la prison de Seysses à la fin de la journée.

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