La clémence du tribunal

10 janvier 2024 | Chroniques d’audience

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, novembre 2023

Renaud B. a refusé d’obtempérer quand les gendarmes ont voulu le contrôler. Ceux-ci l’ont poursuivi pendant une trentaine de kilomètres avant qu’il ne s’arrête.

— Vous êtes par ailleurs arrivé à très grande vitesse vers les renforts appelés par les gendarmes, les obligeant à activer le freinage d’urgence. Les policiers se sont constitués partie civile.

L’identification du véhicule a permis de faire le lien avec un vol d’outils ayant eu lieu à Bricomarché. Qu’avez-vous à en dire ?

— Je suis désolé. Le vol, c’est parce que je suis en galère d’argent. Je ne touche plus le RSA. Et la fuite, c’était parce que j’ai eu peur. Sans véhicule, je galère à travailler. La voiture est à ma mère.

La présidente évoque ses antécédents judiciaires, trois affaires anciennes de détention de stupéfiants et une condamnation récente : il est passé en comparution sur reconnaissance de culpabilité en octobre pour conduite sous stupéfiant. Il ne trouve plus de travail depuis qu’il n’a plus son permis, mais compte le repasser pour pouvoir repartir en saison dans l’hôtellerie ou la restauration.

Absents à l’audience, les gendarmes ont écrit au tribunal pour demander 500 € de dommages et intérêts.

Pour commencer ses réquisitions, le procureur affirme avec gravité que « le refus d’obtempérer heurte grandement l’ordre et la sécurité publique ».

— Renaud B. a mis en péril sa propre vie, mais aussi celle des personnes qui vivent dans les alentours. Une personne a d’ailleurs récemment été fauchée et tuée ! Monsieur a déjà été condamné à de nombreuses reprises, la seule réponse qui n’a pas été essayée est celle de l’emprisonnement ferme. Au mieux peut-il espérer la prison à la maison : l’emprisonnement ferme avec bracelet.

De fait, plein de mansuétude, il demande neuf mois de détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE), 100 € d’amende, et la confiscation du véhicule, assorti de l’interdiction de permis de conduire pendant un an.

L’avocate assure qu’il n’a pas voulu mettre les gendarmes en danger.

— Il était dans un état de panique où on n’arrive plus à réfléchir et où on fait n’importe quoi. C’est ce que j’appelle « l’effet chimpanzé » !

Elle marque un temps d’arrêt pour mesurer l’effet de sa trouvaille, puis continue :

— Il a fait tout cela certainement par bêtise, mais aussi en raison de son état psychique. Il faut savoir que monsieur a été toxicomane pendant des années. Il s’injectait de l’héroïne tous les jours. On ne parle pas de cannabis, hein, ce n’est pas comme fumer un joint le soir pour se détendre.

La présidente l’interrompt pour rappeler froidement que « les deux substances sont interdites ». L’avocate s’excuse puis reprend.

— Mais depuis un an, il a connu un nombre hors du commun de décès : son père, sa meilleure amie, deux oncles, un cousin… Son psychisme s’est dégradé. Il doit être sanctionné, pas de difficulté, mais il faut tenir compte de son état psychologique et de sa situation professionnelle et financière. Le procureur demande une peine DDSE, je ne m’y oppose pas. C’est la peine qui correspond le mieux à sa personnalité. Sa maman accepte de le prendre chez elle. Ce qu’il faudrait c’est qu’il puisse retravailler, pour aller mieux, pour avancer. Et concernant la confiscation du véhicule, je voudrais rappeler qu’il appartient à sa mère.

Le prévenu est condamné à 9 mois de prison à exécuter sous bracelet chez sa mère, ainsi qu’à une obligation de travail et de soins. Il doit aussi payer une amende de 100 € et 250 € à chacun des gendarmes. Le véhicule est confisqué. La présidente accompagne cette grande clémence d’un avertissement :

— Il n’y aura pas deux fois une chance comme ça.

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