Les témoignages ci-dessous sont extraits du livre Je ne pensais pas prendre du ferme. Des gilets jaunes face à la violence judiciaire (Les éditions du bout de la ville, 2021) composé de onze témoignages de personnes ayant été confrontées à la justice pénale lors du mouvement des gilets jaunes.
Romain
[…]
J’ai été interpellé le 9 mars à l’acte XVI. J’ai lancé des feux d’artifice sur la place de la Comédie à Montpellier : les trois premiers sont partis en l’air, et le dernier je l’ai dirigé vers un cordon de CRS à 20 mètres de moi. Ce jour-là, j’étais avec ma mère. Ils nous sont tombés dessus à quatre. Elle a crié et a essayé de me récupérer. D’autres Gilets ont aussi essayé. En vain. Je me suis retrouvé tout seul en garde à vue au commissariat central de Montpellier dans une cellule avec un urinoir dedans. Pas de couverture ni de matelas. Je pensais que j’allais sortir car j’ai un casier judiciaire quasiment vierge… Deux affaires remontant à dix ans : une fois j’avais pris le train sans ticket, une autre fois je me suis fait attraper avec un bout de résine de cannabis et j’avais eu un rappel à la loi.
Cette fois, j’ai été poursuivi pour « violence sur force de l’ordre » et « participation à un groupement formé en vue de commettre des violences », etc. Je n’avais pas reçu les petits papiers de la legal team, je n’étais pas informé de mes droits, je n’ai pas demandé de médecin alors que j’avais été blessé aux jambes dans l’interpellation. C’est une avocate commise d’office qui est venue me défendre. Elle ne me panique pas, ne me dit rien de plus, rien de moins. Du coup, j’accepte la comparution immédiate en pensant que le lundi j’allais pouvoir reprendre mon travail. Dans ma tête, je n’imaginais absolument pas pouvoir me retrouver en prison.
J’en étais très, très loin. Je passe donc le lundi en comparution immédiate, avec un autre avocat qui, juste avant l’audience, me dit mot pour mot: « Monsieur L., ça va être dur pour vous, le procureur veut vous mettre en prison, je ne peux rien faire pour vous, il va falloir que vous vous battiez et vous défendiez tout seul. » Il n’a quasiment rien dit pour ma défense pendant le procès. J’ai senti qu’il fallait que je sauve ma peau et que je vende ma salade.
En rentrant dans le tribunal, j’ai vu ma mère et ma femme, ça a été dur. Et puis… je n’ai pas sauvé ma peau. J’ai dû répondre presque tout seul aux questions du juge. J’avais déjà reconnu les faits en garde-à-vue. Ils avaient la vidéosurveillance de la place de la Comédie. Le CRS que j’avais visé a porté plainte, son avocat a dit que c’était une vidéo « insoutenable » – le CRS a fourni une photographie de sa blessure, une brûlure entraînant un jour d’ITT. La juge a reconnu que, au vu de la photo, elle ne pouvait pas évaluer la taille de la blessure – il se serait cramé avec sa clope, ça aurait été pareil –, mais le procureur a demandé six mois ferme et six mois avec sursis, avec mandat de dépôt. J’ai été condamné à quatre mois ferme, huit mois avec sursis et 800 euros pour indemniser le CRS ; à cela s’ajoutent les 400 euros de frais d’avocats.
Ça a été éclair. Le jugement n’a même pas duré dix minutes, mais quand on les vit, ces moments-là durent longtemps.
À l’annonce du délibéré, je n’ai pas de réaction. Je ne comprends pas ce qui est en train de m’arriver. Une voiture de police m’emmène directement à la prison de Montpellier.
Jean
Jean a été jugé pour participation à un groupement en vue de commettre des violences et dégradations commises lors d’une manifestation à Paris.
[…]
J’ai demandé un report pour préparer ma défense, voir avec un avocat et le collectif anti-répression comment je pouvais me défendre ; le juge a estimé que j’étais trop dangereux et qu’il fallait que j’aille en prison. Ils m’ont incarcéré à Fresnes. Malgré les garanties de représentations. J’ai deux boulots : un CDI, et un où je suis chef d’entreprise ; je suis marié, père de famille. Niveau garanties j’étais au max quoi ! Même mon avocat ça l’a surpris qu’ils me mettent en prison !
Mon avocat, c’était un peu un charlot, même s’il a fini par réussir à me faire sortir… Il devait venir me voir le matin de mon procès mais il n’est pas venu, du coup je n’ai pu l’apercevoir que 3 minutes une fois dans la salle d’audience : il m’a glissé quelques mots à l’oreille, mais on n’a pas pu préparer de défense.
On m’a reproché d’être habillé en noir: le tribunal voulait absolument m’assimiler au black bloc. En fait, ils voulaient m’entendre dire : « Je suis un black bloc. » Au final, le procureur a réclamé neuf mois de prison ferme et le juge m’a donné neuf mois de prison avec sursis. Mon avocat était complètement perché. Il a plaidé dix-huit minutes sur vingt à propos de Trump, du capitalisme. Moi j’étais complètement dépité. Il m’a même rappelé le lendemain pour me dire qu’il était désolé, qu’il était dépressif en ce moment, qu’il avait perdu sa grand-mère. [rires] Non, mais je te jure !
Mickaël
Mickaël a été poursuivi pour avoir dégradé une laverie et avoir lancé des projectiles en direction des forces de l’ordre à Paris lors de l’acte 53 des gilets jaunes.
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Je me suis fait plaquer par terre et menotter.
J’ai fait soixante-douze heures de garde à vue et j’arrive dans la cage à poules au TGI (tribunal de grande instance) de Clichy. Au TGI, le temps est long. C’est long parce que tu es pressé de passer devant le magistrat et de connaître ta sentence. Tout le temps qui se passe avant ça, tu ne sais pas ce qui va t’arriver. Combien je vais prendre ? Dans quelle prison je vais aller ? Comment je vais faire pour plein de choses, fumer par exemple ? Je fume du shit depuis que j’ai 12 ans et je n’ai jamais arrêté, j’ai toujours fumé, tous les jours. À l’extérieur, ma crainte a toujours été de ne pas en avoir. Là, je m’étais fait à l’idée que j’allais arrêter de fumer. J’avais passé soixante-douze heures sans que ça me manque, alors je me suis dit que j’allais pouvoir m’en passer.
Puis tu arrives devant le magistrat. Tu es menotté. On te démenotte, tu es assis et tout le monde te regarde, tu n’es pas avec les gens, tu es derrière la grande tribune, tu es la personne mauvaise. Là, le juge t’énumère les faits et puis te demande ta version. J’ai donc donné ma version : « On avait pris des charges avant ; oui, j’avais bu de l’alcool — en manif, on a toujours bu de l’alcool, c’est ce qui fait qu’après on est chaud —; oui, j’ai suivi les manifestants qui couraient derrière les policiers et je me suis retrouvé devant cette laverie ; Oui, j’ai jeté une pierre et donné un coup de pied. » Pour eux, j’avais des truelles, des barres à mine sur moi, et j’étais venu avec ça pour frapper des policiers : quand ils m’ont attrapé, ils ont prétendu que tout ce qu’ils ont retrouvé devant la laverie, c’était à moi. Ça, c’était faux. Ils m’ont montré les vidéos qui tournaient sur le Net et ça, je ne pouvais pas nier que c’était moi devant la laverie.
Quand il énumère les faits, le président me demande si j’accepte la comparution immédiate. Là, mon avocate me dit que, dans mon cas, au vu de ce qui s’était passé et de la médiatisation, si on reporte, je vais aller en mandat de dépôt : « Ils ne vont faire que repousser ton dossier et peut-être que tu ne sortiras que dans très longtemps. Si tu acceptes la comparution immédiate, tu vas prendre une peine et, derrière, je vais faire le nécessaire pour te faire sortir rapidement. » Tout compte fait, avec les preuves vidéo que je ne pouvais pas nier, elle a fait ce qu’elle a pu. Après les délibérations, on est rentrés dans la salle pour entendre la sentence : douze mois ferme, cinq ans de mise à l’épreuve avec interdiction de se présenter sur Paris, et interdiction de manifestations.
Après la sentence, on me remet dans une salle, nouvelle fouille, je récupère mes affaires que j’avais laissées à l’entrée pour passer devant un guichet où l’on m’annonce dans quelle prison je suis affecté. Quand j’entends « Fresnes », je me dis : « Putain, c’est la merde ! Pourquoi Fresnes et pas Bois-d’Arcy ? » Fresnes, c’est la plus dégueulasse, la plus dure, c’est une prison disciplinaire.
Castaner était content ; il a dit que la peine avait été « exemplaire ».