Paris, 23e chambre du tribunal judiciaire, salle 1, octobre 2022
Imran A. comparaît pour un vol. La présidente lui pose cérémonieusement la question rituelle :
— Voulez-vous être jugé maintenant ou voulez-vous un délai pour préparer votre défense ?
Son avocate tente de prendre la parole, mais se fait sèchement remettre à sa place : « C’est à lui que je pose la question, maître ! »
L’interprète traduit la réponse du prévenu :
— Non, je dois être jugé un autre jour s’il vous plaît.
La présidente lève un sourcil devant la formulation bizarre, mais n’en continue pas moins l’audience :
— Bien. Le tribunal doit donc décider s’il vous libère en attendant l’audience ou s’il vous envoie en détention provisoire. Sachant que sur le casier, on a douze mentions, beaucoup de vols, aggravés par différentes circonstances et l’utilisation de plusieurs alias, associés à différentes dates de naissance.
Le procès n’a pas commencé depuis une minute et l’on sait déjà qu’Imran A. sera envoyé en prison.
Par ailleurs, quoique obligatoire en comparution immédiate, l’enquête sociale rapide n’a pas été faite, « par manque de disponibilité des enquêteurs ». Qu’à cela ne tienne, on ne ralentira pas si facilement la marche de la justice. La présidente continue à interroger le prévenu.
— Vous êtes en France depuis quand ?
— 2017
— Vous vivez où ?
Le prévenu explique qu’il vient de sortir du quartier des mineurs de Fleury-Merogis et qu’il avait rendez-vous aujourd’hui pour être placé dans un foyer.
S’estimant sans doute suffisamment renseignée, la présidente demande à l’avocate de la défense et à la procureure si elles ont des questions sur la personnalité.
L’air désemparée, l’avocate se lève :
— Mon client affirme être mineur, je vous avais déposé des conclusions d’incompétence. Je m’étais pourtant mis d’accord avec lui ce matin pour qu’il accepte d’être jugé immédiatement…
La présidente la rembarre :
— Maintenant que monsieur a demandé un renvoi, on n’est pas là pour examiner le fond. On étudiera cette question lors du renvoi.
— Mais je ne suis pas sûre qu’il ait bien compris la question !
Avec aplomb, la présidente indique lui avoir « pourtant expliqué les enjeux ».
Pendant ce temps, l’interprète traduit l’échange au prévenu, qui intervient avec force :
— Je suis mineur, vous n’avez pas le droit de me juger ici ! Je dois être jugé au tribunal pour enfants.
La procureure a une opinion très arrêtée sur la question :
— J’estime que c’est bien ce tribunal qui est compétent. Dans les décisions précédentes, la date de naissance retenue par la justice est avril 2004 : vous êtes donc majeur depuis plusieurs mois.
Elle enchaîne fermement avec les éléments de langage de la justice :
— Concernant les mesures de sûreté, je demande le maintien en détention provisoire : au regard de son casier et de son utilisation d’alias, le risque de renouvellement est avéré. Et les garanties de représentation ne sont pas suffisantes.
Prise au dépourvu par cette demande de renvoi involontaire, l’avocate patine :
— On avait convenu avec mon client… Il a affirmé tout au long de sa GAV qu’il était né en 2005. Je vous avais préparé un dossier… Il ne comprend pas tout ce qu’on lui raconte. Il est primordial de savoir s’il est majeur ou pas. S’il est mineur, vous n’êtes pas compétent ! Et il a déjà pris contact avec le DEMNA, le Dispositif Éducatif pour les Mineurs Non Accompagnés. Mettez-le sous contrôle judiciaire pour qu’il puisse continuer les démarches.
La présidente suspend la séance, le tribunal part délibérer. Le prévenu effaré la regarde se lever et s’apprêter à quitter la pièce. Il insiste auprès de l’interprète pour que celui-ci le traduise :
— Il dit qu’il a vu une éducatrice et que vous ne pouvez pas le juger !
Comme la présidente ne daigne pas répondre, l’interprète finit par la héler :
— Madame la présidente, il pense que c’est moi qui ne veut pas traduire.
— C’est trop tard, la séance est suspendue.
Elle sort.
Tétanisé, le garçon est resté debout, accroché à la barre du box. Un policier le saisit par le bras pour le faire sortir.
Fin des délibérations, des policiers entassent tous les prévenus du début de l’après-midi dans le box, et la présidente annonce les peines en cascade. Imran A. sera jugé dans un peu plus d’un mois et, mineur ou majeur, il est envoyé en prison en attendant.
Il parle fébrilement à l’interprète, qui se tourne encore une fois vers le tribunal :
— Il dit qu’il n’a rien compris !
— Dites-lui qu’à sa demande, il a obtenu un délai.
Cette incroyable manière de résumer la situation ne convainc pas le prévenu, qui continue à vouloir expliquer sa situation.
— C’est bon monsieur maintenant, ça suffit !