Toulouse, chambre des comparutions immédiates, novembre 2024.
Le président lit l’état civil d’Amine F.
— Il est indiqué que vous êtes né en 1993 « en Algérie ». Vous n’avez pas plus précis ? Parce que c’est vaste, l’Algérie…
Voyant que le prévenu ne répond pas, il répète :
— Où est-ce que vous êtes né ? À Mostaganem ?
Amine F. hoche la tête.
— Vous êtes SDF, de quoi vivez-vous ?
Le prévenu indique qu’il ne comprend pas.
— Comment vous faites pour manger, vous loger, vous habiller ?
— Des fois je travaille.
Visiblement pas gêné par l’absence d’un interprète, le président commence à résumer le dossier : Amine F. comparait pour avoir volé dans des parkings de supermarché 4 vélos électriques et des accessoires – sacoche et casque – en coupant les cadenas avec une pince.
— Vous avez reconnu les faits en garde-à-vue. Ils datent de 2023, mais on n’a pas réussi à vous localiser tout de suite : vous n’avez ni logement, ni compte en banque et vous ne touchez aucune prestation. Vous êtes finalement reconnu et arrêté ce week-end par un équipage de police. Vous vendiez les vélos au marché de la Reynerie pour vous procurer des subsides.
Le prévenu murmure quelque chose.
— Vous dites que ce n’est pas une excuse de voler pour manger, c’est ça ? Le tribunal en est d’accord !
Il éclate d’un bon rire, mais se reprend, en évoquant gravement le sort des victimes :
— C’est insupportable ! Ces gens placent leur vélo dans un lieu sécurisé et se le font voler malgré tout ! Par pure curiosité, vous le vendiez combien ?
— 70, 80 €.
Indignation dans la salle.
— C’est sûr que c’est pas cher !
— C’était pour manger…
— On peut faire d’autres choses pour manger. Et sinon, que peut-on dire de votre personnalité ?
Il parcourt l’« enquête sociale rapide », questionnaire rempli dans les geôles du tribunal le matin même :
— Vous seriez arrivé en 2020 en France et vous auriez été manœuvre dans le bâtiment – tout ça, c’est vous qui le dites. Et vous consommez du cannabis. Le vol, ce n’est donc pas seulement pour manger, c’est aussi pour acheter du cannabis !
Sur son casier, il a deux mentions, l’une pour détention de stupéfiants et l’autre pour vol.
Quand le président lui demande s’il a quelque chose à ajouter, le prévenu prend la parole. L’air ostensiblement perplexe, le magistrat fait mine de le décrypter :
— « Vous êtes vraiment au regret de… » Comprends pas. Il regrette, c’est ça ?
La procureure se lève pour ses réquisitions :
— J’entends que monsieur a un parcours de vie particulièrement difficile, malheureusement il est ici question de plusieurs vols !
Elle demande 9 mois de prison ferme avec maintien en détention.
L’avocat de la défense souligne que son client est très isolé :
— Il n’a personne en France, aucun membre de sa famille. Il n’a rien, sauf sa pince coupante. J’en appelle à l’humanité du tribunal : la prison n’est pas une solution.
Amine F. est invité à dire un dernier mot avant que le tribunal se retire délibérer :
— Je ne suis pas en France pour voler, je voulais juste une vie mieux que là-bas.
Qu’importe, il est condamné à 6 mois de prison et maintenu en détention.