« Il regrette, c’est ça ? »

18 décembre 2024 | Chroniques d’audience

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, novembre 2024.

Le président lit l’état civil d’Amine F.

— Il est indiqué que vous êtes né en 1993 « en Algérie ». Vous n’avez pas plus précis ? Parce que c’est vaste, l’Algérie…

Voyant que le prévenu ne répond pas, il répète :

— Où est-ce que vous êtes né ? À Mostaganem ?

Amine F. hoche la tête.

— Vous êtes SDF, de quoi vivez-vous ?

Le prévenu indique qu’il ne comprend pas.

— Comment vous faites pour manger, vous loger, vous habiller ?

— Des fois je travaille.

Visiblement pas gêné par l’absence d’un interprète, le président commence à résumer le dossier : Amine F. comparait pour avoir volé dans des parkings de supermarché 4 vélos électriques et des accessoires – sacoche et casque – en coupant les cadenas avec une pince.

— Vous avez reconnu les faits en garde-à-vue. Ils datent de 2023, mais on n’a pas réussi à vous localiser tout de suite : vous n’avez ni logement, ni compte en banque et vous ne touchez aucune prestation. Vous êtes finalement reconnu et arrêté ce week-end par un équipage de police. Vous vendiez les vélos au marché de la Reynerie pour vous procurer des subsides.

Le prévenu murmure quelque chose.

— Vous dites que ce n’est pas une excuse de voler pour manger, c’est ça ? Le tribunal en est d’accord !

Il éclate d’un bon rire, mais se reprend, en évoquant gravement le sort des victimes :

— C’est insupportable ! Ces gens placent leur vélo dans un lieu sécurisé et se le font voler malgré tout ! Par pure curiosité, vous le vendiez combien ?

— 70, 80 €.

Indignation dans la salle.

— C’est sûr que c’est pas cher !

— C’était pour manger…

— On peut faire d’autres choses pour manger. Et sinon, que peut-on dire de votre personnalité ?

Il parcourt l’« enquête sociale rapide », questionnaire rempli dans les geôles du tribunal le matin même :

— Vous seriez arrivé en 2020 en France et vous auriez été manœuvre dans le bâtiment – tout ça, c’est vous qui le dites. Et vous consommez du cannabis. Le vol, ce n’est donc pas seulement pour manger, c’est aussi pour acheter du cannabis !

Sur son casier, il a deux mentions, l’une pour détention de stupéfiants et l’autre pour vol.

Quand le président lui demande s’il a quelque chose à ajouter, le prévenu prend la parole. L’air ostensiblement perplexe, le magistrat fait mine de le décrypter :

— « Vous êtes vraiment au regret de… » Comprends pas. Il regrette, c’est ça ?

La procureure se lève pour ses réquisitions :

— J’entends que monsieur a un parcours de vie particulièrement difficile, malheureusement il est ici question de plusieurs vols !

Elle demande 9 mois de prison ferme avec maintien en détention.

L’avocat de la défense souligne que son client est très isolé :

— Il n’a personne en France, aucun membre de sa famille. Il n’a rien, sauf sa pince coupante. J’en appelle à l’humanité du tribunal : la prison n’est pas une solution.

Amine F. est invité à dire un dernier mot avant que le tribunal se retire délibérer :

— Je ne suis pas en France pour voler, je voulais juste une vie mieux que là-bas.

Qu’importe, il est condamné à 6 mois de prison et maintenu en détention.

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