Cherif nous raconte ici son passage en comparution immédiate en août 2017, pour une tentative de vol à la roulotte, c’est-à-dire dans un véhicule. Qui d’ailleurs a « manqué son objet » – pour reprendre les termes du jugement – en raison de « l’absence d’objet à dérober »… Ce n’est donc pas la gravité des faits qui a conduit le procureur de la République à orienter cette affaire vers une procédure rapide et répressive, mais plutôt le fait que Cherif n’a pas de papiers et qu’il a un casier judiciaire. En effet, six mois plus tôt il avait été condamné pour avoir volé 4 bidons de lessive, 6 cannettes de soda et une paire de chaussures.
J’habite à l’époque un squat dans le quartier de Bonnefoy à Toulouse. J’ai mon sac à dos, je descends la rue pour aller dormir quand je vois deux mecs : un avec un vélo, l’autre à pied. On se croise. Je vois les flics freiner au niveau du mec avec le vélo. Le deuxième part en courant. Moi, je continue de marcher, j’ai rien fait. J’ai peur mais j’ai rien fait. Pourquoi courir ? Mais les flics, ils arrivent direct vers moi et m’arrêtent.
Je suis amené au commissariat avec celui qui était à vélo.
Le médecin vient : « Est-ce que vous avez mal ? Est-ce que vous êtes malade ? Est-ce que vous prenez un médicament ? — Non, non, non. » C’est tout. Ça dure même pas une minute. Il ne m’a pas touché.
L’interprète arrive après. Elle veut me faire dire que c’est moi : « C’est pas grave, tu dis que c’est toi, ils te relâchent. » Y en a, ils tombent dans le piège.
Et il y a une avocate. Elle me demande comment j’explique que les flics disent que c’est moi. Je lui ai dit : « Je peux pas expliquer. Expliquer quoi ? Demandez à l’autre si je le connais. »
Les flics me mentent : « On a vu les vidéos de la caméra, on vous a vu tous les deux casser la voiture et prendre des choses. — Très bien, montrez-moi la vidéo ! » Ils ont dit non, bien sûr. C’était pas possible vu que c’était pas vrai.
Pendant ce temps, l’autre leur dit : « Je connais pas ce mec, il est pas avec moi. Mon pote, il est parti. » Les flics lui ont dit de fermer sa gueule.
Je dors au commissariat. On part à 9 h 30 le lendemain pour le palais de justice. Je passe devant une dame [la procureuse]. Jamais j’avais pleuré devant quelqu’un mais là j’ai pleuré. Je lui dis que j’ai rien fait. Elle répond : « On verra ça au tribunal. » On nous met dans les cellules en bas. Dans ma cellule, il n’y a rien, un trou pour les chiottes. Tu peux être deux ou trois, c’est tout petit. T’as soif, tu te démerdes, t’as rien toute la journée. Tu manges pas. Ils m’ont rien donné. J’ai mangé quand je suis arrivé en prison le soir. Ils s’en foutent. T’attends.
Je passe à 16 h 30. Les flics arrivent, ils me disent : « Vas-y ». Ils me prennent, et je monte. Là, il n’y a que le corps qui marche. Tout est bloqué. Dans ma tête, tout est bloqué. Ils m’ont pris et ils m’ont posé, comme cette bouteille [il saisit une bouteille vide sur la table et la pose violemment sur la table].
Dans la salle, il y a plein de monde. C’est la honte. L’avocate, c’est pas la même qu’en garde à vue. C’est une avocate gratuite, je sais pas… On a tous les deux la même. Elle était pas venue me voir aux geôles. Je la croise directement à la barre. C’est bizarre. Normalement, l’avocat, il vient discuter avec toi. « Comment ça va ? Comment ça se passe ? etc. » Là je lui ai pas parlé avant. Elle se présente quand on est dans le box. Et quand le juge me demande si je veux passer tout de suite, elle m’explique là, à la barre, que je peux demander un délai. Moi, j’ai rien fait, je veux juste partir. Je pense : « C’est bon, je vais rentrer chez moi. » Alors je dis que je veux passer tout de suite.
Ça commence. Le mec dans le box avec moi dit encore : « Je connais pas le mec à côté, c’est pas lui. Il a rien à faire là-dedans. » Le juge me pose des questions : « Pourquoi vous avez cassé la voiture ? » Moi, je lui dis : « Mais j’ai rien fait ! Et je connais pas ce monsieur. » Il me regarde. Il me croit pas. Ça n’a pas duré longtemps du tout, dix minutes en tout.
Je me souviens pas de ce qu’a dit l’avocate. Je sais plus. Je sais plus si elle a parlé ou non, je sais plus ce qu’elle a dit.
Et après, j’attends dans le couloir. Quand je rerentre, je reste même pas deux secondes : le juge donne la peine et c’est tout. « Trois mois de prison. » La même peine que l’autre. Là, je tape le mur avec ma tête. Je fais un trou, mais je sens rien.
Le juge dit que je peux faire appel, mais après on m’a dit que ça prenait du temps, un mois et quelques, et que j’allais rester en prison. Et puis je connais pas, je sais pas ça, je suis dans la merde, j’ai pas de papiers.
On me ramène aux geôles. Mon avocate ne vient pas me voir, elle m’a pas dit au revoir. je l’ai plus jamais revue. Je reste là jusqu’à 18 h. Les flics viennent nous chercher pour nous envoyer à Seysses [prison à côté de Toulouse].
Après c’est la prison, tu fais quoi? Je suis rentré, j’ai vu le toubib, il m’a donné des cachets.
Un jour, l’interprète arrive à Seysses avec une feuille. Et elle me dit : « C’est bon monsieur, tu signes là et tu sors de prison et tu descends direct chez toi. » Je lui demande la feuille. C’est l’OQTF [obligation de quitter le territoire français]. J’ai refusé de signer. Moi ça va, je lis un petit peu le français, je lis pas bien mais un petit peu. Mais il y a des gens en prison, ils parlent pas un mot.
Mais bon, même si j’ai pas signé, à la fin de ma peine, ils m’ont amené au centre de rétention de Blagnac. La PAF, ils t’attendent pas à la sortie de la prison, ils viennent directement te chercher à l’intérieur. En fait, tu sors même pas ! Sinon moi, si je sors, je cours !
Là-bas, il y avait des personnes des consulats de Tunisie, du Maroc et d’Algérie. Ils sont venus parler avec moi pour savoir d’où je venais. J’ai rien dit. Tu as le droit de rien dire. Ils ont pas réussi à trouver d’où je venais. Du coup au bout de 45 jours je suis sorti.