Toulouse, chambre des comparutions immédiates, octobre 2021
Akim A. et Fatma B. sont frère et sœur. Six mois plus tôt, ils ont agressé l’ancienne compagne d’Akim A., rencontrée à la sortie de l’école de leurs deux enfants : ils comparaissent pour des violences ayant entraîné trois jours d’interruption totale de travail.
On n’en saura pas beaucoup plus sur les faits puisque les deux demandent un délai pour préparer leur défense. Le tribunal doit donc statuer sur leur mise en détention provisoire : attendront-ils l’audience en prison ?
La question est plutôt rhétorique pour Akim A., qui y est déjà – détenu pour autre cause, comme on dit. Son casier judiciaire est chargé – vol, violence, agression sexuelle – et il avait déjà menacé et harcelé son ancienne épouse pendant plusieurs mois en 2020. Sa sœur, en revanche, comparaît libre, ce qui est assez rare, et se tient à la barre, très droite. Il y a dix ans, elle a été condamnée à de la prison avec sursis pour vol et recel. Elle est devenue depuis aide-soignante dans un Epahd et n’a plus eu affaire à la justice.
Dans un accès de zèle, la parquetière demande à ce que Fatma B. soit placée sous contrôle judiciaire, « parce qu’elle pourrait être mandatée par son frère pour aller agresser son ancienne compagne ».
Et comme c’est l’usage dans ce genre de cas, le parquet demande le maintien en détention d’Akim A. Il est déjà en prison certes, et on voit mal comment il pourrait réitérer les faits ou ne pas se présenter à l’audience le mois suivant ; mais c’est l’habitude du parquet, justifiée par l’éventualité très improbable d’une libération anticipée, en cas de vice de procédure ou d’aménagement de peine improvisé.
L’avocat d’Akim A. souligne à quel point cette routine administrative à laquelle le parquet se livre sans trop y penser peut avoir des conséquences lourdes pour le prévenu :
— Il est déjà en prison à Béziers. Mais si vous ordonnez son maintien en détention, il risque d’être transféré à Seysses.
De fait, s’il est condamné par la juridiction de Toulouse, il sera placé dans une maison d’arrêt sur le territoire relevant de cette juridiction, alors que Béziers est hors de celui-ci.
— Là-bas il a eu de graves problèmes, qui mettaient sa vie en danger. Il avait d’ailleurs été placé à l’isolement pour sa propre sécurité. Et on sait ce que c’est Seysses, le tribunal le sait très bien, il y a assez d’affaires médiatiques sur les conditions de détention là-bas. Par ailleurs, la maison d’arrêt de Béziers est une des rares prisons qui disposent d’une unité de vie familiale où il peut voir ses enfants, qui habitent à Marseille.
Devant un tribunal qui a plus l’habitude d’envoyer des gens en prison que d’en entendre parler en audience, il égraine les répercutions qu’aurait ce transfert, pourtant vraisemblablement demandé sans y penser :
— Il vient juste de récupérer ses affaires et de cantiner pour des sommes assez importantes ! Et il est auxiliaire en bibliothèque – on sait que ça signifie qu’il se conduit bien. Il a commencé une formation. C’est une dynamique qui ne doit pas être interrompue. Sinon, que va-t-il arriver à ses affaires, comment va-t-il récupérer la somme qu’il a mise pour cantiner ? Dans les transferts, le suivi des effets personnels des détenus est aléatoire. Ce n’est pas le problème du tribunal, mais tout de même… Au minimum, il faudrait insérer une mention pour que l’administration pénitentiaire puisse prendre en compte sa situation.
L’avocate de Fatma, quant à elle, est visiblement très mécontente de la manière dont les choses se passent :
— J’apprends dans les dernières minutes que le parquet demande un contrôle judiciaire !
Elle estime que le parquet a transgressé les usages de la profession en ne l’en informant pas avant l’audience.
Mais la parquetière n’est pas trop d’accord pour se faire engueuler :
— Mais on a connu le renvoi il y a seulement quelques minutes !
Polaire, l’avocate la rappelle une nouvelle fois aux usages :
— Je plaide.
Parce que si on peut sans difficulté couper la parole à un⋅e prévenu⋅e, on n’est pas censé interrompre les gens de justice.
En ce qui concerne l’affaire, elle signale simplement que les faits datent d’il y a plusieurs mois et qu’il n’y a eu entre-temps aucune tentative de prise de contact.
— Si le juge des libertés et de la détention ne l’a pas placée en contrôle judiciaire, c’est parce que ça n’avait pas de sens hier. Et je ne suis pas sûre que ça ait plus de sens aujourd’hui. Ma cliente a pris l’engagement de ne pas contacter sa belle-sœur. Elle a compris que ça ne servirait personne.
Pendant que le tribunal délibère, la parquetière et les deux avocat⋅es continuent à se chamailler sur le protocole.
À son retour, la présidente annonce que Fatma B. est laissée libre. En revanche elle prononce le maintien d’Akim A. en détention provisoire.
— Néanmoins, concernant le lieu de détention, je rappelle que le tribunal n’a pas la main sur le choix de l’établissement pénitentiaire.
Ce sera donc Seysses.