Faute avouée à demi pardonnée ?

7 septembre 2021 | Chroniques d’audience

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, mai 2021.

Début d’audience. Déjà beaucoup de monde dans la salle, si bien que l’huissière commence à refuser l’entrée à des gens – qui protestent. Les deux assesseurs attendent, tandis que le président farfouille dans ses papiers.

Pendant ce temps, l’interprète va saluer les trois prévenus : les deux plus jeunes, Ahmed B. (né en 1995 en Algérie) et Karim K. (né en 2001 au Maroc) ont des mèches blondes et l’air inquiet. Le troisième, Hamza M., est né en 1988 en Algérie.

Ils comparaissent pour une série de vols commis deux jours plus tôt dans une petite ville proche de Toulouse. Circulant à bord du même véhicule, ils ont embarqué différents objets croisés sur leur chemin : trottinette, tronçonneuse, portefeuille laissé dans une voiture ouverte, vélo…, jusqu’à ce que les gendarmes les interpellent en fin de matinée.

Le président balaye la salle du regard :

— Y a-t-il des victimes présentes à l’audience ?

Le propriétaire du portefeuille, un jeune homme blond à l’air mécontent, s’avance du fond de la salle :

— Approchez-vous, monsieur. Non, monsieur, pas là, plus près. Asseyez-vous sur le banc. Sur le banc, j’ai dit. Ça, c’est une chaise.

L’interrogatoire des prévenus peut commencer. L’alternance des questions et des réponses est un peu machinale : les faits ont déjà été reconnus en garde à vue et les deux plus jeunes les confirment sans hésitation. Hamza M. en revanche a affirmé en garde à vue ne pas avoir eu connaissance des projets des deux autres et nie avoir participé aux vols.

— Monsieur M., maintenant que vous avez entendu vos collègues, qu’avez-vous à dire ?

— Je conteste toujours les faits, j’ai seulement conduit, je ne suis pas sorti du véhicule.

Le président lit ensuite d’un air morose ce qu’on appelle élégamment des « éléments de personnalité » : des indications éparses sur la vie des prévenus, récoltées à la va-vite pendant l’enquête sociale rapide. Ils sont tous en situation irrégulière. Ahmed B. est en France depuis trois mois, il était pêcheur en Algérie, il a arrêté l’école en 3e et n’a pas de casier judiciaire. Hamza M. n’a pas de casier non plus. Il est le dernier d’une famille de sept enfants. Arrivé en France en 2019, il a fait une demande d’asile, et n’a pas de domicile fixe. Il a un enfant de 4 mois.

En France depuis 2018, Karim K. a arrêté sa scolarité en 4e. Il est le seul à avoir un casier, qui comporte 9 mentions : vol, petits trafics, infraction sur la législation au séjour. En 2019, il a fait six mois de détention à la prison de Seysses pour avoir refusé de se soumettre au prélèvement ADN.

Le procureur commence son réquisitoire. L’interprète le traduit à voix basse aux prévenus qui se penchent vers lui pour l’entendre.

— Monsieur Ahmed B. a eu l’intelligence de reconnaître les faits et grâce à lui on y voit un peu plus clair. C’est aussi celui qui a le profil le plus avantageux : il n’a pas de casier et il a collaboré.

Grand prince, il requiert seulement 10 mois de prison avec mandat de dépôt.

Monsieur Karim K. a coopéré avec la police également, mais il est « moins précis » et « minimise son implication ».

— C’est quelqu’un qui ne tire pas les leçons de ses passages à la maison d’arrêt.

De là à dire que la prison ne sert à rien, il n’y a qu’un pas que le procureur n’a pas franchi : 18 mois de prison avec mandat de dépôt.

C’est pour Hamza M. qu’il est le plus réprobateur. Déjà, il aurait commis les faits en récidive. Mais il y a bien pire :

— Il se moque un peu de nous ! Il aurait fait preuve de naïveté ! Il aurait découvert tardivement ce que faisaient ses deux amis !

Écœuré par tant de mauvaise foi, il demande 18 mois fermes, là encore, avec mandat de dépôt.

Assise au premier rang du public, la femme de Hamza M. est en colère, elle se lève à demi pour interpeller un des avocats, qui ne l’entend pas. La jeune fille qui l’accompagne lui pose une main sur son épaule.

Les plaidoiries commencent – au diapason du procureur qui a fait des aveux l’alpha et l’oméga de la vertu judiciaire. Le filet de voix de l’avocat d’Ahmed B. atteint difficilement les bancs du public : « Je ne comprends pas : on nous dit qu’il a coopéré, il a assumé ! La peine devrait le prendre en compte ! »

De son côté, l’avocate de Hamza M. a à cœur de rectifier la mauvaise impression laissée par l’absence d’aveux de son client. Elle sait probablement que le tribunal est très prompt à considérer les dénégations des prévenus comme un manque de respect :

— Il ne se moque pas de votre juridiction. C’est juste qu’il n’a pas la même sensibilité ni les mêmes compétences juridiques que nous pour apprécier la situation. « Avez-vous volé ? » Il répond non ! Ce n’est pas lui qui est allé prendre les objets.

Elle lève en tout cas un lièvre de taille dans le réquisitoire du procureur :

— On le poursuit en récidive légale, alors qu’il a un casier vierge !

Pour gagner la course aux aveux, l’avocat de Karim K. coule les deux autres prévenus et leur défense :

— Contrairement à ce qui a été dit – parce que moi j’y étais, je suis allé en garde à vue –, il me semble bien que c’est mon client qui a été le premier à reconnaître, le premier à dire : « Je vais vous dire la vérité maintenant. » Je voudrais éviter que mon client soit le lampiste de ce dossier. On vole ensemble, on tombe ensemble !

Tout à fait dans le ton jusque-là, il introduit soudain une note sinistre dans le cours paisiblement impersonnel du procès :

— Mon client est scarifié sur tout le corps. Il s’est mis torse nu en garde à vue parce qu’il était très mal. Je n’ai pas réussi à le faire voir par un psy, j’ai même eu les plus grandes difficultés à faire venir son médecin pour lui faire prescrire du Xanax. Ça fait quatre ou cinq ans qu’il est en France, il aurait eu besoin de soins, mais les peines sont tombées l’une après l’autre et il n’a jamais eu l’occasion de se soigner.

Revenu des délibérations, le tribunal annonce les peines : 10 mois pour Ahmed B. et 18 mois pour les deux autres – exactement les réquisitions du procureur, alors même que le président annonce avoir écarté la récidive pour Hamza M. Et bien sûr, mandat de dépôt pour tous les trois.

Le jeune homme blond qui avait des difficultés à trouver le bon banc recevra 800 € pour son portefeuille et l’argent qui s’y serait trouvé ; ainsi que 1 000 € pour son préjudice moral.

Dernière formalité avant que les prévenus soient emmenés, le président remplit machinalement la notice qui doit être transmise à l’administration pénitentiaire : les prévenus ont-ils des problèmes de santé ? suivent-ils un traitement ? prennent-ils des médicaments ? ont-ils des addictions – cigarettes, alcool, drogue ?

Hamza M. ne déclare aucun problème. Ahmed B. explique avoir souvent mal au dos. Puis vient le tour de Karim K. de répondre aux questions posées d’un ton morne sur ses antécédents psy – « Avez-vous déjà fait une tentative de suicide ? »

Le jeune homme répond sobrement :

— Oui. À Seysses.

Imperturbable, le président coche la case du formulaire – « Bien, je note la nécessité de vous faire voir un psy » – et clôt l’affaire.

Les prévenus sont emmenés. Ils attendront aux geôles du palais la fin des audiences avant d’être conduits à la maison d’arrêt de Seysses. Hamza M. s’essuie les yeux. Sa femme pleure. La jeune fille à ses côtés a l’air très en colère.

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