« Elle se moque complètement de votre juridiction ! »

22 février 2022 | Chroniques d’audience

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, janvier 2022

Irina F. est née en Roumanie il y a une quarantaine d’années. Elle a été arrêtée lors d’une opération anti-prostitution menée avenue des États-Unis. Lors de son contrôle, les policiers ont réalisé que la prévenue était sous le coup d’une interdiction judiciaire du territoire prononcée en 2018 par le tribunal correctionnel de Toulouse. Elle comparaît donc pour présence illégale sur le territoire.

— Vous avez été reconduite en Roumanie à votre sortie de prison. Vous dites être revenue quelques jours avant votre arrestation pour « travailler », c’est-à-dire vous prostituer.

L’interprète en langue roumaine traduit à voix basse. On ne saura pas ce qu’elle a fait de ces guillemets.

— Vous avez prétendu que vous ne saviez pas que l’interdiction était définitive. La préfecture affirme pourtant que cela vous a été notifiée avec interprète alors que vous étiez incarcérée. Qu’avez-vous à dire sur les faits ?

— Je ne peux pas confirmer, je ne sais pas quoi dire.

— Pourquoi êtes-vous revenue alors que vous aviez une interdiction définitive du territoire ?

— Je ne savais pas que je n’avais pas le droit.

— Mais vous aviez signé tous les papiers ! Et il y avait un interprète ! « Définitif », ça veut dire « définitif », en anglais, comme en roumain.

Quelques étudiants rient dans la salle.

Son casier judiciaire ne porte qu’une seule mention : en 2018, elle a été condamnée à deux ans de prison pour « proxénétisme aggravé par pluralité d’auteurs ». Qu’a-t-elle fait exactement ? Personne ne le sait, pas même le procureur car seul le motif de la condamnation apparaît sur le casier.

Ses quarante années de vie sont rapidement résumées par la présidente :

— Vous avez grandi en Roumanie, vous n’avez jamais été scolarisée, vous êtes prostituée depuis plusieurs années, vous avez deux enfants de 18 et 23 ans avec qui vous avez des contacts réguliers par téléphone. Voulez-vous ajouter des précisions sur votre parcours et sur votre vie ?

— Non.

Il est déjà temps pour le procureur de faire ses réquisitions. À défaut de connaître précisément les faits pour lesquels Irina F. a été précédemment condamnée, le procureur laisse courir son imagination. Qui va – déformation professionnelle ? – vers l’interprétation la plus à charge.

— Elle a été condamnée pour proxénétisme aggravé, c’est quelque chose qui confine à l’esclavage sexuel.

Certes, elle-même est aujourd’hui prostituée et donc « un peu victime à cet égard », pour autant ce qu’elle fait est impardonnable :

— Elle se moque complètement de votre juridiction ! Le message qu’elle lui transmet, c’est qu’elle peut revenir dès qu’elle en a envie.

Mais c’est la réprobation morale qui clôt son intervention :

— Et force est de constater qu’elle est de retour dans la prostitution.

Il demande huit mois avec mandat de dépôt.

L’avocate de la défense commence par réconforter le tribunal :

— Je ne pense pas qu’elle se moque de la juridiction.

Quitte à s’enferrer :

— Bien sûr, à nous, ça nous paraît curieux, mais certains peuvent comprendre « définitif » différemment.

L’interprète s’efforce de traduire en même temps. Elle se fait reprendre par la présidente :

— Le mieux, c’est que vous résumiez à la fin parce que c’est un peu compliqué d’entendre.

L’avocate reprend :

— Et il n’y a qu’une seule condamnation au casier, même si elle est lourde. L’important, c’est qu’elle retourne en Roumanie. C’est d’ailleurs sa volonté. La peine ferme doit donc être réduite drastiquement.

Elle est déclarée coupable et condamnée à trois mois de prison, assortis d’un maintien en détention. La présidente la prévient :

— Peut-être qu’à votre sortie de prison la préfecture décidera de vous placer en centre de rétention en vue de votre départ pour la Roumanie. Si ce n’est pas le cas, vous devrez absolument partir par vos propres moyens.

L’huissier se lève pour apporter un nouveau dossier tandis que les policiers ramènent Irina F. aux geôles. Elle attendra la fin de l’audience pour partir avec les autres à la maison d’arrêt de Seysses.

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