Toulouse, chambre des comparutions immédiates, octobre 2020
Mehdi R. comparaît pour avoir frappé sa compagne très violemment après une soirée arrosée. Parce qu’il aurait reçu les textos d’autres femmes, une dispute a éclaté : Leila S. a fini aux urgences au milieu de la nuit avec de multiples blessures – ecchymoses sur tout le corps, plaie à la tête : dix jours d’incapacité totale de travail (ITT). La jeune femme est présente, assise sur le banc des parties civiles, même si on apprend dès le début du procès qu’elle a retiré sa plainte.
Le président ponctue le récapitulatif des faits de « Vous confirmez monsieur ? », « C’est bien ça monsieur ? » qui n’attendent pas de réponse puisqu’il laisse rarement le prévenu finir une phrase. Comprenant que les questions n’en sont pas réellement, celui-ci finit par renoncer à dire quoi que ce soit, même s’il continue à secouer obstinément la tête.
Après avoir rappelé qu’en garde à vue, Mehdi R. a affirmé que les violences étaient réciproques, que sa compagne l’avait frappé à plusieurs reprises et lui avait même jeté une chaise dessus, le président conclut, narquois :
— À vous entendre, vous avez fait ça pour vous défendre ?
L’ironie tombe à plat quand Medhi R. affirme gravement :
— J’ai dit ça sur le moment, mais après la gendarmerie m’a dit que je l’avais tabassée à mort. Je les ai crus. Et je crois ma compagne. Je ne m’en rappelle plus, mais si elle le dit, c’est que c’est vrai. Elle a fini aux urgences. Moi, je n’ai fini nulle part.
La victime est appelée à la barre. Ce qui intéresse le président en premier lieu c’est de savoir pourquoi elle a retiré sa plainte.
Au début presque courtois, le ton se durcit quand la jeune femme dit que son compagnon a besoin d’être soigné, pas d’être enfermé. Rapidement, le président la traite comme le prévenu : il lui coupe la parole sans arrêt et, comme elle s’entête à dire que l’incarcération n’est pas une solution, il la somme brutalement de revenir aux faits.
Elle confirme donc les déclarations faites à l’hôpital : elle ne l’a pas frappé, si elle a brandi une chaise, c’était pour se protéger. Ce soir-là, son compagnon avait beaucoup bu : « une bouteille de whisky ». Soucieuse de ne pas réduire son compagnon aux faits qu’on lui reproche, elle ajoute aussitôt :
— Il boit parce qu’il a le mal être.
Lassé, le président — qui manifestement ne tient plus tant aux faits — tente un coup bas :
— Bon, il vous trompe…
Le ton est affirmatif.
— Non, non. Enfin je ne pense pas.
— Il reçoit pourtant des textos.
— Je ne suis pas dans sa tête. C’est pour ça que j’ai dit « je pense ». C’est un garçon qui a besoin d’aide et de soutien.
Désireux d’aider à remettre Leila S. sur les rails du témoignage conforme, le procureur rappelle un précédent : un conflit avait déjà eu lieu en janvier et le couple avait été poursuivi pour violence réciproque, avant que la procédure ne soit classée sans suite. Elle a avoué aux policiers qui l’ont interrogée à l’hôpital avoir à l’époque minimisé la violence de son compagnon.
— Je ne me souviens pas avoir dit ça.
Il insiste. La jeune femme nie catégoriquement. Quoi qu’elle ait dit à l’hôpital, sous le choc et sous morphine, ce n’est pas vrai. Il change de méthode. Sa voix s’adoucit pour lui poser des questions retorses : est-ce que Mehdi R. est dangereux ? Est-ce qu’il peut recommencer ? La jeune femme esquive : il n’est « pas dangereux », mais « en souffrance ». S’il est suivi correctement, il ne recommencera pas.
En désespoir de cause, le procureur lui demande pourquoi elle n’a « pas jugé bon d’avertir les officiers de police » des problèmes d’alcool lors des événements de janvier. Leila S. répond simplement que « la consommation d’alcool était moindre ».
Elle refuse décidément de se plier à l’exercice. Qu’à cela ne tienne, dans son réquisitoire le procureur opte pour la pédagogie musclée :
— Peu importe aujourd’hui qu’elle veuille retirer sa plainte, une fois les faits dénoncés elle perd la main sur ces faits. Je ne sais pas ce qu’attend Mme S. de la justice et cela m’importe peu. Aujourd’hui, elle a eu 10 jours d’ITT ; demain ce sera plus ; et après-demain elle ne sera pas là pour témoigner. Elle attend quoi ? De faire un orphelin ? Cette attitude ne rend service à personne, ni à elle ni à son enfant, ni à la société.
Soucieux de « poser des limites », il demande 18 mois fermes et le maintien en détention.
Pris par le mouvement qui a transformé la victime en une seconde coupable, l’avocat les défend tous les deux :
— Cette femme vient un peu à contresens de ce qu’on pensait de cet homme depuis qu’on l’a réduit à un dossier. Elle est venue vous dire qu’elle ne croyait pas que la prison puisse les aider. Vous lui dites : « Ça ne nous intéresse pas ce que vous pensez de votre compagnon. » Mais enfin, qu’est-ce que c’est que cette justice-là ?
Mehdi R. est condamné à deux ans de prison, dont un avec sursis probatoire et maintien en détention ; obligation de soin / interdiction de paraître à son domicile.
Affaire suivante.
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