« Comment pouvez-vous évacuer complètement la possibilité qu’ils disent la vérité ? »

23 juin 2021 | Chroniques d’audience

Vous pouvez aussi écouter la version audio de cette chronique.

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, septembre 2020

Deux prévenus arrivent dans le box, l’un a 25 ans, l’autre un peu plus de 40. Il leur est reproché d’avoir pénétré dans une maison inhabitée en fracturant la porte.

Une interprète s’avance pour traduire l’échange entre les prévenus et la présidente. Comme c’est l’usage, elle n’est pas au côté des prévenus mais au-dessous du box, et les deux hommes doivent se pencher par-dessus le plexiglas pour entendre ce qu’elle chuchote à toute vitesse. La communication, déjà difficile d’ordinaire, est plus entravée encore par le port du masque.

La présidente, qui a du mal à comprendre, s’agace rapidement :

— Il faut changer l’installation, je n’entends rien à ce que vous dites.

La jeune femme s’éloigne donc du box pour s’installer au pupitre équipé d’un micro placé en face de l’estrade où siège le tribunal.

La maison était surveillée par une société de sécurité, qui a avisé les policiers de la présence de trois individus, équipés d’un pied-de-biche et d’une lampe. Les policiers les ont interpellés au moment où ils sortaient de la maison, sans rien emporter. Le troisième étant mineur, il n’est pas dans le box et sera présenté au juge des enfants.

— Vous donnez tous les deux la même version des faits, qui est en contradiction avec le témoignage de la société de surveillance. Vous dites vous être introduits dans cette maison pour y dormir. Vous dites être entrés par la fenêtre, que la porte était déjà fracturée, que vous avez fouillé à la recherche de couvertures… Est-ce que vous maintenez cette version ou est-ce que vous avez réfléchi un tout petit peu ?

L’interprète traduit leurs réponses :

— C’est vrai qu’ils ont cassé la porte. Ils étaient dehors depuis des semaines et ils avaient vraiment besoin de pouvoir dormir dans un endroit sûr, d’autant que l’un d’eux est asthmatique. Ils avaient travaillé depuis très tôt le matin, ils étaient épuisés.

La présidente a le sens des priorités :

— Et lequel d’entre vous a cassé la porte ?

Ils expliquent que c’est le troisième individu, celui qui est mineur. Exaspération de la présidente :

— Mais bien sûr, c’est le mineur qui a tout fait ! C’est minable ! À votre âge, accuser quelqu’un qui n’est même pas majeur ! [à l’interprète, un peu éberluée par la tirade] Mais traduisez, vous !

La jeune femme s’exécute à la hâte, avant que la présidente ne reprenne :

— Monsieur G., vous avez indiqué que vous êtes en France depuis un mois ?

— Il dit qu’il a fait une demande d’asile.

— Qu’il se contente de répondre aux questions qu’on lui pose.

Oui, il est bien là depuis un mois, tandis que son compagnon est arrivé deux semaines plus tôt. Tous les deux ont pris rendez-vous pour faire une demande d’asile.

La présidente le prend visiblement très mal :

— Est-ce que vous pensez, messieurs, que pour obtenir l’asile en France, le meilleur moyen c’est de commencer par voler ?

Sa pique envoyée, elle donne quelques informations supplémentaires sur leur situation : aucun des deux n’a de mention sur son casier. Le plus âgé était pêcheur, puis peintre en Algérie. Depuis son arrivée en France il travaille au noir sur les marchés pour gagner sa vie. Le plus jeune a indiqué en garde à vue ne jamais être allé à l’école et avoir été ouvrier agricole en Algérie. Ils affirment avoir appelé le 115 pour obtenir une place pour dormir dans un hébergement, en vain.

Ils peuvent bien dire tout ce qu’ils veulent, ça n’ébranle pas le procureur, sûr de son fait :

— Ce dossier est fort simple ; nous pouvons affirmer sans nul doute que ces trois individus sont effectivement entrés par effraction dans cette maison. Une seule question persiste : était-ce pour dormir ou pour voler ? Moi je le dis nettement : c’était pour voler. Si ç’avait été réellement pour dormir, les individus n’auraient pas tenté de partir après la fouille. Sous couvert de demande d’asile, ces gens viennent commettre des méfaits. Ils sont d’une telle malhonnêteté qu’ils n’assument pas ce qu’ils font : voyez, c’est l’absent qui a tort. Et puis c’est fatiguant d’avoir à chaque cambriolage les mêmes explications. Vous avez bien raison, madame la présidente, de penser que l’Ofpra ne va pas accorder l’asile à ce genre de personnes.

Il demande 10 mois ferme et 5 ans d’interdiction du territoire pour les deux prévenus, à qui cependant rien de tout ça n’a été traduit. Et la plaidoirie de l’avocat qui suit ne le sera pas non plus :

— Le seul élément matériel qu’on peut leur reprocher, c’est d’avoir fracturé la porte. Ils s’apprêtaient à sortir sans rien emporter. Ils ont dit avoir fouillé pour trouver des draps et des couvertures ; la partie civile est incapable de trouver ce qui lui a peut-être été volé. S’ils n’ont rien pris, ce n’est pas parce qu’il n’y avait rien à prendre, c’est peut-être parce qu’ils ne voulaient pas voler. Comment pouvez-vous évacuer complètement la possibilité qu’ils disent la vérité ? Dans une précarité extrême, à bout de forces, à bout de nerfs, peut-être qu’ils n’ont pas trouvé d’autre solution que de squatter cette maison. Pourquoi penser que parce qu’ils sont migrants ils viennent voler la France ? Et je rappelle qu’ils n’ont pas de casier judiciaire. Les réquisitions sont excessives pour des primo délinquants.

Il ne réussit pas à semer le doute, le tribunal les condamne pour vol en réunion avec effraction : six mois d’emprisonnement avec maintien en détention.

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