Ceux qu’on croit

11 mars 2025 | Chroniques d’audience

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, janvier 2025

Abdelkerim T., 46 ans, comparaît pour deux séries de faits similaires qui se sont déroulés à quelques mois d’intervalle : refus d’obtempérer, conduite en état d’ivresse et sans permis, rébellion, refus de se plier aux contrôles d’alcoolémie et de stupéfiants.

Les faits les plus récents se sont déroulés quelques jours plus tôt : une patrouille de police veut procéder à un contrôle parce que la plaque de sa voiture est partiellement cachée. Mais au lieu de s’arrêter, il accélère, fait demi-tour sur un rond-point et éteint ses phares.

La présidente continue de résumer le dossier :

— Les policiers retrouvent le véhicule garé et vide. Ils finissent par aller fouiller un parking dans la zone. Là ils disent trouver « un homme de type africain de grande taille, seul dans le noir complet, les mains tremblantes ». En garde à vue, vous expliquez que vous vouliez juste boire une bière dans un bar après le travail. Alors que vous êtes sous contrôle judiciaire et que vous aviez l’interdiction de conduire !

— Il n’y a pas de transport à l’heure où je sors du travail. C’est pour ça que j’ai pris la voiture.

Il ajoute qu’il essaye de se soigner pour l’alcool.

— Vous vous soignez tellement bien que vous vous arrêtez au bar ! L’interpellation est tendue. Quand la police vous demande de leur remettre les clés de voiture qui sont visiblement dans votre poche, vous haussez le ton et devenez de plus en plus agressif.

Elle cite le policier : « Il s’oppose violemment à notre action, nous empêchant de le menotter. »

— Je le reconnais mais j’ai eu peur de perdre mon travail. Je m’en veux énormément.

Les faits les plus anciens remontent à cinq mois : une patrouille veut l’arrêter parce qu’il roule sans les phares et qu’il n’a pas mis son clignotant avant de tourner. Il s’enfuit, avant d’être finalement arrêté.

— Les policiers signalent que vous vous êtes rebellé : « Nous avons dû procéder à des gestes techniques et réglementaires pour mettre l’individu au sol. » Mais vous dites que c’est vous qui avez reçu les coups ! Les policiers ont été contraints de faire ça.Ilsne vous ont pas mis à terre parce qu’ils avaient envie de s’en prendre à vous. À chaque fois qu’on vous demande de vous soumettre à la loi comme tout un chacun ici, vous refusez ! Quand la police demande quelque chose, normalement, on se laisse faire et on voit ce qui se passe. Les policiers disent que vous gesticuliez et que vous cherchiez à vous échapper : « L’homme refuse de se laisser menotter. Je décide de prendre son genou pour le déséquilibrer. » C’est vrai que vous êtes tombé, monsieur, mais voilà pourquoi !

Et quant à savoir si les policiers ont porté des coups, ils sont encore catégoriques, et unanimes : « Aucun coup n’a été porté, même si nous avons dû l’amener au sol étant donné qu’il était récalcitrant à notre action. »

La présidente détaille le casier judiciaire d’Abdelkerim T., sur lequel il y a 9 mentions, principalement des infractions routières et des faits de rébellion. Il a perdu son permis par défaut de points en 2010.

— Et en 2018, vous êtes condamné pour évasion alors que vous étiez sous bracelet électronique. Pourquoi est-ce que vous n’avez pas respecté votre condamnation ?

— Le bracelet était endommagé !

— C’est une explication qui vous appartient.

Elle lit dans l’enquête sociale rapide qu’il est agent de sécurité incendie.

— Je ne sais pas comment c’est possible avec le casier que vous avez ! Vous avez deux enfants de 18 et 15 ans. Vous avez le bac. Est-ce que vous voulez ajouter quelque chose ?

— Ça fait 4 ans que je travaille. Jamais je n’avais eu de travail stable avant. C’est difficile de trouver un travail avec mon profil.

— Et sur le problème de l’alcool ?

— Je suis en train de me faire soigner, j’ai un rendez-vous bientôt.

Le procureur se lève pour ses réquisitions :

— Quand on voit le casier de monsieur, la balance de la vérité penche aisément du côté des officiers de police judiciaire, défenseurs de l’ordre public ! Le refus d’obtempérer est une infraction grave. Il y a des éléments de personnalité favorables – par exemple son insertion professionnelle –, mais le casier est fourni ! Et il n’y a visiblement pas de prise de conscience. Je vais vous requérir la protection de la société : 4 mois pour le refus d’obtempérer, 20 mois pour le reste, dont 12 avec sursis probatoire, assorti d’une obligation de travail, de soins et un stage de sensibilisation.

Le tout avec mandat de dépôt.

— Je ne vois pas d’autres solutions, c’est une peine parfaitement adaptée aux faits et à la personnalité du prévenu.

L’avocate est un peu énervée :

— On écarte d’un revers de la main toutes ses déclarations ! Sur les neuf mentions de son casier, il y en a huit qui sont réhabilitées de plein droit. Quant à son « évasion », son bracelet s’est détérioré au cours d’activités sportives. De toute façon, on parle de faits qui datent de 5 ans. Mais on le cloue au pilori. Oh ! combien il est dangereux ! Alors qu’on parle de 4 minutes de refus d’obtempérer en zone industrielle. C’est normal qu’il ait eu peur au moment de l’interpellation : la dernière fois, il a perdu son emploi de concierge et son logement. On évoque le fait que sa personnalité ne pourra que le conduire en détention, mais il est en CDI depuis 4 ans ! Il a toutes les garanties nécessaires pour mettre en place une détention à domicile. Mon client a 46 ans. Il a longtemps minimisé ses difficultés avec l’alcool, mais il a rendez-vous dans deux semaines. Si vous l’envoyez en prison, de toute évidence, quand il en sortira, il se retrouvera sans situation et sans domicile fixe.

Le tribunal le condamne à deux mois fermes pour le refus d’obtempérer et 18 mois dont 10 avec sursis probatoire avec obligation de soins et de travail pour le reste. Il décerne un mandat de dépôt pour les 10 mois fermes.

Une fois la peine de prison annoncée, la présidente commence à remplir la fiche d’information qui doit être transmise à la prison de Seysses :

— Est-ce que vous avez des soucis de santé ?

Le prévenu, décontenancé, fait non de la tête.

— Est-ce que vous avez des addictions ?

Il répond timidement qu’il a un problème avec l’alcool mais qu’il a rendez-vous bientôt.

Ça agace la présidente :

— Ce que je vous demande, c’est s’il y a un risque que vous soyez en manque ce soir, en détention, pour que la prison puisse prévoir des médicaments.

Pendant que la présidente finit de remplir la fiche, le prévenu parle d’une voix tremblante avec son avocate :

— Qu’est-ce qu’il va se passer ?

La présidente appelle le dossier suivant.

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