« C’était la désolation après votre passage »

20 avril 2021 | Chroniques d’audience

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, octobre 2020

Muni d’un pied de biche, Mohammed I. a dégradé plusieurs vitrines du centre-ville. Son interpellation a été difficile – il a insulté les policiers et leur a craché dessus : il comparaît donc également pour outrage aux forces de l’ordre. Marocain d’une trentaine d’années en situation irrégulière, il est sous le coup d’une obligation de quitter le territoire depuis plus d’un an. Quand le président lui demande pourquoi il n’a pas été reconduit à la frontière après son passage dans un centre de rétention administrative, il ne comprend visiblement pas la question :

— À l’époque, j’avais une copine. 

— On ne va pas s’en sortir. Tant pis. Vous êtes coiffeur à domicile ? 

Mohammed I. acquiesce et ajoute quelque chose qu’on ne comprend pas bien. 

L’avocat intervient : 

— Il donne l’adresse.

— Mais enfin, si c’est à domicile il n’y a pas d’adresse ! 

La plaisanterie du président fait rire les assesseurs. En revanche, personne n’a l’air de trouver problématique qu’il n’y ait pas d’interprète alors que le prévenu comprend si mal le français. 

Interrogé sur les raisons de son geste, Mohammed I. répond qu’il était « très alcoolisé », et qu’il ne se rappelle plus de rien. Perplexité du président :

— Quand on est alcoolisé, on ne pense pas forcément à se munir d’un pied-de-biche. 

— Je l’ai trouvé par terre. 

— Ah, moi quand je me balade, je ne trouve pas forcément de pied-de-biche ! 

Décidément, on s’amuse. 

Le président revient longuement – et avec un peu d’émotion – sur les dégâts. 

— À Pimkie, il y en a pour 16000 € de préjudices ! Vous vous rendez compte ! 

Le prévenu réaffirme n’avoir aucun souvenir. Il ajoute que c’est bien la première fois qu’il fait quelque chose de ce genre. De fait, il n’a pas de casier judiciaire.

Peu importe, le président continue d’égrener la liste des grandes chaînes qui ont subi des dommages, même si pour ainsi dire rien n’a été volé : un témoin a vu le prévenu tenir un sac à main, qui n’a pas été retrouvé ; et la gérante d’un des magasins a déclaré qu’une chaussure avait disparu.

 Mais le président se fait surtout du mauvais sang pour les vitrines :

— Bon, elles sont assurées, mais tout de même ! En plein centre-ville !

Il n’a pas peur des mots : 

— C’était la désolation après votre passage.

L’instruction se clôt sur ces mots ; on demande à Mohammed I. de se rasseoir. L’heure est aux plaidoiries. L’avocat des forces de l’ordre signale bien qu’en temps de covid, c’est une violence inouïe de cracher sur quelqu’un. « Et puis on n’a aucune explication ! » Mais enfin ce n’est pas comme si on s’était donné beaucoup de peine pour en obtenir. En réparation du préjudice moral, il demande 800 € pour chacun des policiers. 

Le procureur partage l’avis de l’avocat des parties civiles sur « le caractère préoccupant des violences faites aux forces de l’ordre » :

— En ces temps de Covid, il est plus facile de parer à un coup de poing qu’aux conséquences d’un crachat.

Démonstration à l’appui : le bras du procureur vient habilement parer un crochet imaginaire. Et puis « l’alcool n’explique pas tout ». C’est indéniable, même si on n’apprendra jamais ce qui explique ce geste.

Il requiert 8 mois de sursis probatoire et l’obligation d’indemniser l’ensemble des parties civiles.

Le réquisitoire à peine fini, l’avocat des parties civiles se lève pour aller discuter avec le procureur. Signe des temps ou prémonition de la faiblesse de la défense, il a visiblement oublié que l’avocat du prévenu devait plaider. Ça amuse tout le monde. L’ambiance est guillerette.

 De fait, la défense est perplexe :

— J’ai cherché à comprendre, mais je ne suis pas psychiatre.

Pourquoi cet homme, en situation irrégulière, a-t-il saccagé ces commerces, dans la rue la plus fréquentée de Toulouse ? « C’est un comportement très curieux. Ça aurait été intéressant de comprendre pourquoi. Là on n’a pas d’éléments. »

On n’en saura pas plus. Ce qui n’empêchera pas le président de dépasser largement les réquisitions en prononçant 1 an de prison, maintien en détention, et 5 ans d’interdiction du territoire. Plus 500 € par policier.

Pour écouter la version audio de cette chronique.

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