Marseille, chambre des comparutions immédiates, octobre 2022
Renaud C. est né à Marseille, il y a bientôt 40 ans. Il est accusé d’avoir exercé sur sa mère – avec laquelle il vit – des violences n’ayant entraîné aucune ITT. On n’en saura pas plus sur les faits, puisque le procès doit être renvoyé, comme l’explique le président :
— Apparemment, la victime n’a pas été avisée. Le dossier n’est donc pas en état d’être jugé. Ah bah, la journée commence bien ! La question qui se pose maintenant est de savoir si vous allez être libéré et mis sous contrôle judiciaire avant le procès, ou bien si vous attendrez en prison.
C’est le moment de l’examen des « éléments de personnalité » – et avant toute chose le casier judiciaire.
— En 2012, vous avez été condamné à du sursis probatoire, déjà pour des violences sur ascendant. Qu’est-ce que vous pouvez nous en dire ?
Le prévenu, perdu, bafouille et peine à s’exprimer. Le président y voit une occasion de faire de l’esprit :
— Apparemment, ce ne sont pas des souvenirs marquants !
L’avocate de la défense, à l’autre bout de la salle, se lève et interpelle son client :
— Vous m’en avez parlé ce matin ! Vous pouvez raconter dans quel contexte c’est arrivé et ce que vous éprouviez à l’époque.
Renaud C. répond dans un murmure qu’il « éprouvait de la solitude » et qu’il n’était « pas très bien dans sa peau ».
Sur le plan professionnel, sa situation est stable : il est cuisinier et gagne 1600 € par mois. Mais son mode de vie ne trouve pas grâce aux yeux du président :
— Vous êtes endetté depuis longtemps à hauteur de 1000 € par mois. C’est un plan de surendettement ?
— J’ai trois crédits en cours.
— Pour financer quoi ?
— Une moto.
Grimace du président :
— Est-ce que ne devriez pas être plus raisonnable dans vos dépenses pour arrêter de vivre chez votre mère à presque 40 ans ?
Ça n’est pas vraiment une question, le prévenu ne s’y trompe pas et reste silencieux.
— Vous êtes célibataire, vous dites avoir des difficultés à rencontrer quelqu’un à cause de vos horaires de travail. Ça veut dire que vous faites à la fois le service du soir et du midi ?
— Seulement le soir.
Encore une mauvaise réponse. Le président fait la moue avant de parcourir rapidement l’enquête sociale rapide. Il en lit à haute voix les éléments qu’il juge significatifs – ou juste rigolos – et pose des questions pertinentes pour savoir s’il faut envoyer Renaud C. en prison :
— Vous êtes un amateur de figurines, de mangas et de chats. Vous avez 9 chats à la maison. À qui sont ces chats, à votre mère ou à vous ?
— À nous deux !
Le président signale ensuite que sa mère et son frère trouvent qu’il a un comportement difficile, avec des accès de colère. Dans le cadre du sursis probatoire, il a été suivi par un psychologue il y a quelques années. Mais le président remarque froidement que « ce n’était pas une démarche personnelle », et que le prévenu n’a pas repris de traitement à la fin de l’obligation.
— L’enquête sociale rapide signale en dehors de ça, des problèmes d’alcool, un père violent… Pour poser la question franchement, est-ce que pouvez être logé ailleurs que chez votre mère ?
— Non.
Le procureur a une transition toute trouvée :
— Votre dernière question est essentielle ! Pour éviter la réitération des faits, je demande la détention provisoire. Même si la victime a refusé d’ouvrir la porte aux policiers qui sont venus l’interroger en disant que son fils lui manquait et en traitant les policiers de guignols ! Ah, on est en plein drame balzacien !
Quoi que ça veuille dire, c’est à l’avocate de la défense de plaider :
— Monsieur est âgé de 40 ans, on comprend bien qu’il a du mal à supporter une maman qui l’infantilisme beaucoup.
Elle rappelle que la seule mention au casier date de 2012.
— Monsieur se sentait délaissé parce que sa mère préférait son frère. La victime elle-même aimerait que cette procédure s’arrête.
Elle demande un contrôle judiciaire avec une obligation de soins « pour gérer sa colère et sa frustration d’être encore à 40 ans chez sa mère avec ses 9 chats ».
Le prévenu, en pleurs, ne sait pas quoi ajouter.
— Je suis désolé pour ma mère.
Revenu des délibérations, le président assure d’un air vaguement désolé qu’avec ses assesseurs ils ont « cherché une autre solution ». Manque de chance, ils n’en ont pas trouvé ! Il annonce donc être contraint d’envoyer Renaud C. en prison.
Puisque c’est la première fois que le prévenu va être incarcéré, le président lui pose une série de questions :
— Est-ce que vous avez des problèmes de santé ?
On entend à peine Renaud C. répondre qu’il fait des crises d’angoisse.
— Mais vous ne prenez pas de médicament ?
Il secoue la tête négativement.
— Vous prenez de la drogue ?
Renaud C. a l’air de plus en plus perdu devant cette avalanche de questions tardives. Le président soupire avant de daigner lui expliquer :
— Ce ne sont pas des questions pièges. C’est pour savoir si vous avez des dépendances et éviter le manque en prison. Bon, on se revoit dans un mois.
Affaire suivante.