Toulouse, chambre des comparutions immédiates, juillet 2023
Dès le début de l’audience, la présidente annonce :
— On va suspendre cinq minutes, pour s’associer au mouvement des greffiers, qui sont là, dehors. Je tiens à dire ici l’importance de leur travail. Sans eux, il ne peut tout simplement pas y avoir de justice !
L’affirmation est accueillie un peu fraîchement par une salle remplie de dizaines de personnes venues en solidarité des prévenus arrêtés lors des nuits de révolte qui ont suivi la mort de Nahel Merzouk, tué par un policier.
Présidente, assesseurs, procureure, greffière et huissière sortent de la salle en file indienne pour se joindre pendant quelques instants au rassemblement sur les marches du tribunal. Une manière de manifester leur solidarité sans trop ralentir la belle mécanique des comparutions immédiates, qui reprend à leur retour.
Manuel R. est né en 2000 à Barcelone. Il comparait pour détention de stupéfiant. La présidente résume le procès-verbal de la patrouille de police :
— « Dans le quartier Empalot, avons constaté la présence d’individus sur un banc, et de deux individus à l’écart qui échangeaient quelque chose. » Les policiers indiquent ensuite qu’après leur intervention, le groupe s’est dispersé et qu’ils vous ont vu jeter quelque chose de bleu.
À ce moment-là, les portes de la salle s’ouvrent, et une trentaine de greffiers et greffières revêtu·es de leur robe s’avancent en silence et se positionnent aussi discrètement que possible le long des murs, en tenant des pancartes : « Greffe en perdition », « Greffiers en colère ».
Le prévenu, qui les regarde – comme tout le monde –, se fait rappeler à l’ordre par la présidente :
— Concentrez-vous s’il vous plaît ! Les policiers ont trouvé sur vous un sachet avec 0,3 g de résine de cannabis. Et dans le sachet bleu qu’ils vous ont vu jeter, il y avait 14,5 g de cocaïne. En garde à vue, vous ne reconnaissez pas l’avoir jeté. Vous dites que vous faisiez simplement le « chouf », c’est-à-dire le guet, à cet endroit. Vous faites ça souvent ?
Manuel R. répond sobrement que oui, ça lui est déjà arrivé.
— Il y a deux semaines, vous aviez de la cocaïne – vous allez d’ailleurs passer en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité pour ça –, mais ce jour-là vous dites que vous n’en aviez pas. Comment expliquez-vous que les policiers aient trouvé ce sachet ?
— C’est un point de trafic, il y a des sachets tout autour et ces sachets sont tous les mêmes. D’ailleurs les policiers ont trouvé trois sachets : un transparent et deux bleus.
— Le policier interpellateur se souvient vous avoir déjà contrôlé. Il dit que vous êtes un habitué.
— J’achète là-bas. Et je connais tout le monde, j’y vais pour me poser avec les autres, pas seulement pour travailler.
— Et quand vous dites travailler, c’est… ?
— Faire le chouf
— On a trouvé 90 € sur vous. D’où provient cet argent ?
— Du travail
— Quel travail ?
— Chouf.
— Donc du trafic !
La procureure a, elle aussi, des questions de vocabulaire :
— Quand vous dites que « vous vous posez », ça veut dire quoi ?
— Ça veut dire que je reste tranquille, avec les potes.
— Et quand vous dites : « Je travaille » ?
— Chouf.
— C’est ça, votre travail ?
Manuel R. acquiesce avec lassitude. Assez contente d’elle, la procureure conclut :
— Donc, quand vous dites que vous travaillez, ça veut dire, si je traduis bien, que vous faites le guet !
Après cette parenthèse linguistique, la présidente reprend la main pour énumérer les trois mentions sur le casier judiciaire du prévenu : prison avec sursis pour vol, travail d’intérêt général pour voyage sans titre de transport et six mois de prison ferme pour conduite sans permis sous l’emprise de stupéfiant. La veille, le procureur a décidé de mettre à exécution cette peine qui aurait pu être aménagée. Quoi qu’il arrive, Manuel R. va donc passer 6 mois en prison.
Les greffiers et greffières en colère repartent sur la pointe des pieds pour ne pas perturber le travail de leurs collègues.
La procureure commence ses réquisitions :
— Empalot devient un quartier très problématique en matière de stupéfiant. Je rappelle qu’il y a eu un assassinat l’autre jour rue d’Antibes à l’arme de guerre. C’est un lieu très dangereux. [En s’adressant au prévenu.] Et je le dis en premier lieu pour vous.
Elle lui reproche surtout d’être revenu sur le point de deal alors qu’il s’était déjà fait arrêté deux semaines plus tôt :
— Il n’a visiblement rien compris, il a interprété le fait d’être laissé en liberté comme un signe de faiblesse de la police et de la justice. Il est revenu à ce qu’il appelle son « travail ». Et vraisemblablement, il ne faisait pas que le guet ! Sans doute qu’il vendait aussi – même s’il n’est pas poursuivi pour ça. Depuis l’assassinat de la rue d’Antibes, le milieu des stupéfiants a changé sur Toulouse, des individus en bas de la hiérarchie ont été promus. Il faut le sanctionner sévèrement, parce qu’il ne comprend pas autre chose.
Elle demande 8 mois fermes avec mandat de dépôt, ainsi qu’une interdiction de paraître dans le quartier.
L’avocate s’indigne :
— On ne va pas lui faire endosser entièrement tout le trafic d’Empalot ! Et pourquoi pas le crime de la rue d’Antibes tant qu’on y est ! Vous n’avez pas grand-chose et vous comblez le vide avec des suppositions : « Il a sans doute commencé comme guetteur, mais vu ce qui s’est passé il y a deux mois, je suppose qu’il est devenu vendeur. » Il y avait tout un groupe d’individus, n’importe lequel d’entre eux aurait pu jeter ce sachet de cocaïne. Mon client reconnaît la détention de 0,3 g de cannabis, et c’est tout. Sur la cocaïne, il n’y a aucun élément matériel.
On l’emmène. Le prévenu suivant le remplace dans le box. Après plusieurs affaires, on le remonte des geôles pour lui annoncer la peine qu’il devra effectuer après ses six mois d’emprisonnement : 6 mois de prison avec sursis probatoire et 210 h de TIG, obligation de soin, de travail ou de formation, interdiction de paraître.