Toulouse, chambre des comparutions immédiates, juin 2022
Installé au rayon alcool d’un supermarché pour boire des bières, Mohammed T. a menacé avec un couteau le vigile qui voulait le déloger. Couteau qu’il a immédiatement rangé quand les renforts sont arrivés.
La présidente résume les faits à toute vitesse – l’interprète peine à la suivre :
— Le service de sécurité vous a facilement appréhendé et remis à une patrouille de CRS qui passait opportunément. En garde à vue, vous avez déclaré que vous étiez saoul, que vous ne vous souveniez de rien. Seulement que le vigile vous a fait mal. Bon, si vous vous souvenez de ça, vous devriez vous souvenir du reste… Vous dites aussi avoir un couteau pour vous faire des sandwichs, pour ouvrir les bouteilles de bière et pour vous défendre au cas où – les explications habituelles, quoi. Vous avez l’air de boire pas mal ?
— Oui.
— Pour ce qui est de la personnalité, vous avez été condamné en 2019 pour vol, violences et dégradations. [En parcourant l’enquête sociale rapide] Vous êtes divorcé depuis deux ans, votre dernier travail était dans une entreprise de construction. Vous avez dit « alcool occasionnel » à l’enquêtrice de personnalité… [Moue amusée.] Et vous lui avez dit aussi que les documents concernant votre séjour n’étaient plus valables.
— Oui, le dossier est bloqué parce qu’il manque un de mes diplômes.
Le vigile n’est pas présent mais se constitue partie civile : stressé à l’idée de se faire agresser de nouveau sur son lieu de travail, il demande 1 000 € de dommages et intérêts.
Dans ses réquisitions, le procureur veut faire de l’esprit :
— Quand on veut boire des bières, il faut d’abord les acheter, c’est une règle élémentaire ! Et je ne suis pas persuadé que votre titre de séjour n’ait pas été renouvelé à cause de votre niveau scolaire… Est-ce que ce ne serait pas plutôt à cause de votre casier judiciaire ? Quant au fameux couteau qui ouvre les bières, un décapsuleur serait plus adapté !
Il demande 4 mois de prison ferme, avec maintien en détention et interdiction de port d’arme.
L’avocate de la défense ne voit pas bien ce qu’elle pourrait ajouter :
— C’est vrai qu’il a sorti un couteau, mais il l’a rangé ensuite. Pour le reste, je m’en remets à votre appréciation des faits. Pour ce qui est des demandes des parties civiles, la victime dit qu’elle est stressée mais, tout de même, c’est son métier d’être agent de sécurité. Je m’en remets là aussi à votre appréciation pour le montant. Et pour la peine, je fais appel à votre clémence.
Fort de cet éclairage, le tribunal se retire délibérer : après y avoir réfléchi une minute trente, les juges condamnent le prévenu à 4 mois de prison avec maintien en détention, ainsi qu’au paiement de 500 € de dommages et intérêts.
Le prévenu est reconduit aux geôles. Avant de franchir la porte, il se retourne et remercie poliment son avocate.