Toulouse, chambre des comparutions immédiates, décembre 2021
Nordine B., tout juste juste vingt ans, est né à Tunis. On l’accuse d’être rentré dans une Mercedes en cassant une vitre arrière pour y voler un siège bébé et un sac de maternité. Il comparaît donc pour vol aggravé. Une interprète est là pour traduire.
C’est l’analyse d’une trace de sang découverte sur le véhicule qui a mené au prévenu. La présidente reprend les déclarations qu’il a faites en garde à vue :
— « Je ne reconnais pas les faits, je ne m’en souviens pas. » S’agissant des objets volés, sac de maternité et siège bébé, il déclare : « Je ne vois pas ce que j’en ferais et à qui je les vendrais. » [Se tournant vers le prévenu] Est-ce que vous avez une autre version aujourd’hui ?
— Je n’ai aucun souvenir de ce que vous racontez. Non, honnêtement, je ne sais pas.
— Est-ce que vous avez plus d’explications sur cette absence de souvenir ? Pourquoi ne vous souvenez-vous plus de rien ?
— Je suis suivi par un psy, je prends des traitements très lourds.
La présidente relève avec satisfaction :
— Il ne dit pas catégoriquement que ce n’est pas lui. Il ne dit pas : « Je n’ai rien fait de la sorte. »
Certes.
Elle passe ensuite en revue l’enquête sociale rapide. C’est vite fait :
— Vous êtes arrivé en France en 2017, vous n’avez jamais été scolarisé en Tunisie. Là-bas vous avez été maçon, plombier et plaquiste. Vous êtes célibataire sans enfants. L’ESR mentionne un suivi psychologique et une consommation quotidienne de cannabis. Est-ce que le suivi psy est lié aux stupéfiant ou est-ce qu’il y a d’autres problèmes ?
— Je suis suivi depuis mon enfance. J’ai toujours pris des médicaments.
— Et on ne sait pas pour quelle maladie ?
— J’entends des voix parfois.
— Pourtant il n’y a pas eu de reconnaissance d’irresponsabilité pénale dans les affaires précédentes, sachant qu’il y a treize condamnations à son casier.
Fin de la discussion sur l’état de santé du prévenu et habile transition pour en venir à son casier judiciaire : usage de stupéfiants, recel de biens provenant d’un vol, différentes atteintes aux biens, dont un vol avec violence qui lui a valu six mois de prison. En 2020, il est aussi incarcéré pour maintien irrégulier sur le territoire.
La présidente se fend d’un commentaire à l’attention du public :
— Sa situation ne peut pas être régularisée à cause de son casier. On peut être régularisé même en étant entré irrégulièrement sur le territoire, mais à condition qu’il n’y ait pas d’antécédent de la sorte.
Dans ses réquisitions, la procureuse revient très longuement sur la trace de sang, dont elle n’ignore pas qu’elle pose une difficulté : la gendarme avait en effet initialement oublié de noter sur quelle poignée elle l’avait trouvée. Or si le sang était sur une poignée extérieure, on aurait difficilement pu le considérer comme une preuve irréfutable de culpabilité. Convoquée à une audition plusieurs mois après, la gendarme a affirmé de manière formelle qu’il était sur une poignée intérieure.
— Et puis le prévenu ne dit pas qu’il était ailleurs. On a donc suffisamment d’éléments, notamment au regard de ses antécédents.
Elle demande 6 à 8 mois de prison avec mandat de dépôt.
L’avocate de la défense souligne qu’il n’y a aucune trace de sang là où la fenêtre a été cassée. Si Nordine B. s’était coupé en cassant la vitre, on aurait dû avoir du sang dans tout l’habitacle, et surtout à l’endroit où il a démonté le siège bébé. À propos du témoignage de la gendarme, des mois après les relevés, elle est goguenarde.
— Je salue sa mémoire ! Je serai incapable d’être formelle sur des faits aussi anciens.
Elle rappelle que la charge de la preuve appartient au ministère public :
— Pour nous autre juriste, le doute légitime doit prévaloir. Je demande la relaxe.
Le tribunal déclare Nordine B. coupable et le condamne à six mois de prison avec mandat de dépôt.