Toulouse, chambre des comparutions immédiates, octobre 2020.
Dans le box, le prévenu a l’air terrifié.
Adil B. est né à Tanger dans les années 1980, il a vécu longtemps à Barcelone et vient tout juste d’arriver à Toulouse ; il comparaît pour avoir vendu 11,4 grammes de résine de cannabis.
Les faits ne sont pas contestés : à la sortie d’un lieu de vente bien connu et surveillé par la police, un acheteur a été interpellé ; il a décrit le vendeur aux forces de l’ordre, qui l’ont immédiatement arrêté.
Invitée par la présidente à demander à Adil s’il a un commentaire à faire sur ce résumé de l’affaire, l’interprète traduit les explications du prévenu, en pleurs :
— Un black m’a remis deux capsules et m’a dit de les donner à l’acheteur en échange de 20 €. Moi, ça fait trois jours que je suis à Toulouse. Je n’ai pas mangé, je n’ai rien.
La présidente s’étonne : comment se fait-il qu’on le trouve sur un lieu de vente trois jours après son arrivée ?
Sans même laisser le temps à l’interprète de traduire la question, elle ajoute, fine mouche :
— Premier jour, première transaction, on l’attrape. C’est pas de chance !
Pendant que la présidente jette un bref coup d’œil à l’enquête sociale rapide – « Il n’y a que très peu de renseignements » –, le prévenu prend la parole :
— S’il vous plaît, aidez-moi, je ne suis jamais allé en prison, je n’ai jamais fait ça.
L’audience suit son cours. Sans parvenir à réveiller l’assesseure qui sommeille à la droite de la présidente, le procureur se lance dans une tirade un peu longue sur le fléau de la drogue. Manière d’annoncer par avance que le jeune homme en pleurs qui a vendu ces quelques grammes n’a aucune indulgence à attendre de sa part, il explique que le parquet mène une lutte acharnée contre les stupéfiants, en s’attaquant indistinctement à tous ses acteurs, les grands trafiquants comme les petits revendeurs.
— La réponse pénale se doit d’être ferme. Certes, le prévenu n’a pas de casier, mais ça pourrait s’expliquer par son arrivée récente en France.
Il requiert donc six mois de prison et le maintien en détention pour plus de sûreté. Pour justifier sa décision, il brosse les méfaits hypothétiques de Adil B : « Monsieur B. pourrait sinon sortir et aller ce soir même vendre de la drogue. » Tout à ses spéculations, il se sent aussi obligé de demander une interdiction du territoire français pendant trois ans. « C’est une peine complémentaire que le parquet n’a pas plaisir à requérir », précise-t-il d’un air navré, mais « il s’agit d’éviter que le prévenu s’inscrive durablement dans le trafic de stupéfiants sur la région toulousaine ».
Beaucoup de prudence, donc !
L’avocat de la défense souligne crûment la minceur du dossier, le peu de choses qu’on sait sur le prévenu et l’insignifiance des quantités.
— On parle de 11,4 grammes de cannabis. On a trouvé 40 € sur lui. On est sur un dossier qui ne mérite pas des peines aussi lourdes. Un mandat de dépôt pour un primo-délinquant, ça me choque !
Il plaide pour une « peine d’avertissement », de la prison avec sursis par exemple.
Le tribunal ne retient pas cette possibilité et condamne le prévenu à quatre mois fermes, avec maintien en détention, assorti d’une interdiction du territoire et de la confiscation des sommes trouvées sur lui
Toujours en pleurs, Adil B. est emmené.
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