Toulouse, chambre des comparutions immédiates, mai 2021
Auteur présumé d’un délit, Karim E. a refusé de se soumettre au contrôle des forces de l’ordre. « Dans un état d’ivresse manifeste », il a copieusement insulté les policiers et s’est défendu avec un couteau quand ils ont voulu l’embarquer. Il comparaît pour outrage et violence ayant entraîné deux et vingt-et-un jours d’ITT pour les deux policiers.
La présidente lui pose la question rituelle :
— Vous êtes jugé selon la procédure de comparution immédiate. Voulez-vous être jugés maintenant ou voulez-vous un délai pour préparer votre défense ?
Karim E. a des difficultés à répondre, il a l’air malade. Son avocate se lève à demi pour répondre à sa place qu’il demande un délai.
Reste à savoir si le prévenu doit être placé en détention provisoire en attendant son procès. Le principe proclamé par la loi est la liberté : théoriquement l’enfermement ne peut intervenir qu’à titre exceptionnel.
La présidente annonce que le tribunal va « examiner les éléments de sûreté », à savoir un portrait à la hache du prévenu : sans emploi, SDF, alcoolique, il était ferrailleur dans le bâtiment, mais n’a plus travaillé à la suite d’un accident du travail il y a quelques années ; il a depuis accumulé les mentions sur son casier : conduites sans assurance, conduites alcoolisées, consommations de stup.
C’est un cas d’école, le jeune procureur n’hésite pas une seconde :
— Je requiers le placement en détention provisoire pour prévenir le risque de réitération et pour s’assurer de sa présence à l’audience.
Considérant probablement que ça tombe sous le sens, il ne se donne pas la peine de développer et énumère simplement les deux motifs prévus par le code de procédure pénale : garantir le maintien de la personne mise en cause à la disposition de la justice et mettre fin à l’infraction ou éviter son renouvellement.
L’avocate ne bataille pas sur le renvoi, elle veut juste obtenir une expertise :
— Au-delà de l’ébriété et de la toxicomanie, on sent qu’il y a une problématique psy. Pour le reste, vous avez cité son casier, je m’en remettrai au tribunal.
Délibéré éclair : maintien en détention jusqu’au procès « pour garantir le maintien de monsieur à la disposition de la justice ».
— J’ai un truc à vous dire !
Le prévenu explique alors à voix très basse que ce n’est pas lui qui avait commis les faits pour lesquels il a été contrôlé. La présidente lui répond d’un air bienveillant :
— Oui, je sais monsieur, ce n’était pas vous. Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas pour ça que vous êtes poursuivis.
Mohammed B. et Amine B., jeunes trentenaires nés à Mostaganem, comparaissent pour une dizaine de cambriolages, au cours desquels ils ont emporté bijoux, sacs, montres, ordinateur…
Comme ils demandent tous les deux un délai pour préparer leur défense, une fois encore le tribunal doit statuer sur la détention provisoire.
Amine B. a fait un an de prison en 2020 pour vol aggravé avec recel. Arrivé en France il y a dix ans, il travaille au noir, comme coiffeur et dans le bâtiment. Il vit avec une femme qui attend un enfant. Mohammed B. a déjà été condamné à huit mois de prison pour vente frauduleuse de tabac. Tous les deux sont par ailleurs en train de purger une peine de trente mois de prison pour un précédent cambriolage.
Sans surprise le procureur demande leur placement en détention provisoire, « afin de prévenir le risque de réitération des faits, qui me paraît très important » :
— Ce sont des cambrioleurs professionnels ; ils en ont fait un mode de vie !
Leur avocat est goguenard :
— Ils sont tous les deux déjà en prison, sans possibilité de sortir dans l’intervalle…
Peu sensible à l’absurdité de la chose, le tribunal les place en détention provisoire jusqu’à la date de leur procès un mois plus tard.
Bilal S. est né en 1990 à Blois. Élégant, très droit, l’air tranquille, il ne semble pas aussi écrasé que d’autres après être passé de la garde à vue aux geôles du palais de justice, puis au box en plexiglas de la salle d’audience. Trois personnes sont là pour le soutenir, qui lui font des gestes d’amitié.
Les faits sont anciens : on lui reproche d’avoir détenu en 2019 un kilo et huit cents grammes d’herbe de cannabis. Lui aussi demande un délai pour préparer sa défense.
Suit alors l’énumération des mentions sur le casier : conduite sans permis et sans assurance, violence en réunion, recel et vente de drogue, outrage aux forces de l’ordre.
— Je vais maintenant examiner les éléments de personnalité : vous avez un CAP électricité ; de 2014 à 2020 vous étiez sous-traitant pour une entreprise de logistique. En 2020, vous êtes devenu coursier autoentrepreneur à cause de la crise. Quelque chose du genre d’Ubereat, j’imagine. [examinant des papiers] Je vois que vous situation financière ne pose pas particulièrement problème.
Le parquet requiert comme d’habitude le placement en détention provisoire, « pour prévenir le renouvellement de l’infraction et s’assurer de sa représentation devant le tribunal ». Sans rire.
— Le risque de fuite est d’autant plus important qu’il encourt des peines très lourdes : pour stup en récidive, il risque vingt ans de prison !
L’avocat ricane :
— Il encourt peut-être vingt ans sur le papier, mais il faut rester raisonnable : il s’agit d’1,8 kg de cannabis. Il n’y a aucune chance pour qu’il soit condamné à une peine pareille. Je rappelle par ailleurs que les faits datent de 2019. Il ne s’est pas enfui pendant deux ans. Et il est venu quand on l’a convoqué ! Pourquoi ne viendrait-il pas la prochaine fois ? Parce qu’il aurait appris au cours de cette audience qu’il est là pour une affaire de stupéfiant ? Il a un appartement, une famille, un enfant de trois ans, une femme enceinte. Il ne va pas partir maintenant.
Même si le tribunal délibère un peu plus longtemps que pour les affaires qui précèdent, il ordonne son maintien en détention « pour garantir votre maintien à la disposition de la justice ».
Le prévenu salue poliment avant de partir – « Merci et au revoir. »