Pas de problème

Pas de problème

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, juin 2025.

Dans le box, un monsieur d’une cinquantaine d’années oscille doucement d’avant en arrière, un gentil sourire aux lèvres. Le président rappelle son état civil :

— Vous vous appelez Younes S., vous avez 47 ans, vous êtes célibataire, vous n’avez pas d’enfant. Est-ce que vous avez un domicile ?

Le prévenu sourit toujours, le président reprend :

— Vous ne travaillez pas, vous êtes sous curatelle. Un expert a conclu à une altération du discernement. Il y a 8 mentions sur votre casier judiciaire : recel, vols, filouteries.

Entre 2022 et 2024, Younes S. s’est introduit dans les locaux de six entreprises dans les zones d’activité de Labège et de Ramonville et y a volé des ordinateurs. Avant toute chose, l’avocate de la défense a des nullités à faire valoir : elle demande l’annulation de la garde à vue – et donc de la procédure qui en découle – parce que la notification de ses droits au prévenu a eu lieu avant que les policiers sachent que Younes S. était sous curatelle :

— Il a renoncé à ses droits sans comprendre ce à quoi il a renoncé. Regardez-le ! Il sourit en ce moment même ! C’est assez révélateur : il ne comprend pas les questions qu’on lui pose. Je ne peux pas imaginer que les enquêteurs ne s’en soient pas rendu compte.

La procureure répond que les enquêteurs ont fait « toutes les diligences qui leur incombaient » :

— Ils avaient l’obligation de poser la question à la personne en garde à vue, ce qu’ils ont fait. Le prévenu a répondu qu’il ne faisait pas l’objet d’une mesure de protection.

À l’issue de la garde à vue, les policiers ont contacté le parquet. Quand celui-ci a vu dans ses fichiers que le prévenu était un majeur protégé, il a avisé son curateur.

Elle conclut sereinement :

— Le prévenu a pu bénéficier de tous ses droits.

L’audience reprend son cours normal, puisque le tribunal ne se prononcera sur la nullité soulevée par l’avocate qu’à la fin de l’audience. Le président commence l’interrogatoire :

— Vous reconnaissez la totalité des faits ? Vous auriez du mal à ne pas reconnaître d’ailleurs, puisque vous avez laissé de l’ADN partout.

Parfois des empreintes, mais le plus souvent du sang, que le prévenu a perdu en se blessant au moment de briser les fenêtres avec des pierres.

— Sur place, vous volez les ordinateurs. Je ne sais pas trop ce que vous en faites ! Si vous les volez, c’est bien que vous y trouvez un intérêt, non ?

Cette fois, Younes S. répond quelque chose qu’on ne comprend pas. Le président le fait répéter à plusieurs reprises. Pour finir, l’avocate se lève :

— Il dit : « Je marche. »

Le président ne renonce pas si facilement :

— Qu’est-ce que vous avez à nous dire ? C’est alimentaire ? Vous faites ça pour vivre ? Pour survivre ? Ou bien vous faites ça par plaisir ? Labège et Ramonville, c’est votre secteur ? Vous avez un receleur ou un moyen de revendre ses ordinateurs ?

Le prévenu hoche la tête, dans un sens ou dans l’autre. Le président finit par abandonner et passe à l’examen de sa personnalité :

— Vous avez été expertisé par le docteur G., qui conclut à une altération du discernement. Cela réduit la peine encourue d’un tiers. L’expert conclut au terme d’un rapport très succinct que vous êtes schizophrène avec une psychose blanche. Il dit aussi que vous êtes « un cleptomane qui semble vivre dans des conditions difficiles ». Vous êtes d’accord avec ça ? Vous suivez un traitement ?

Le prévenu sourit paisiblement.

La procureure a l’air un peu navrée :

— On a tous conscience de ses difficultés et de ses troubles. L’altération du discernement parait évidente. Sa perception est limitée. Il est schizophrène et peu accessible à une sanction pénale. J’en tiens compte dans mes réquisitions. Cependant il persiste dans son comportement délinquantiel, auquel il faut mettre fin.

Elle demande 12 mois de prison, dont 6 mois avec sursis probatoire et obligation de soin et de réparer les dommages. Pour les 6 mois restants, elle demande le maintien en détention.

L’avocate commence sa plaidoirie :

— Madame la procureure dit qu’il ne conteste rien, moi je pense surtout qu’il ne comprend rien. Monsieur se trompe même sur son âge. Il est incapable de dire qu’il habite chez sa mère. Il ne comprend aucune des questions qu’on lui pose, il répond oui comme il peut répondre non. Ses aveux n’ont donc aucune valeur. S’il devait y avoir condamnation, étant donné qu’il est schizophrène avec une grosse limitation intellectuelle, je demande soit une dispense de peine, soit une peine qui couvre le mois qu’il a déjà passé en prison, ou encore du sursis probatoire avec obligation de soin.

Quand le tribunal revient de délibération, il rejette la nullité, reconnaît l’altération du discernement, et condamne Younes S. à un an de prison, dont 8 mois avec sursis probatoire. Le président précise :

— Les 4 mois restants ne seront pas aménagés.

Le prévenu sera donc ramené à la prison de Seysses à la fin de l’audience.

— Pendant votre sursis probatoire, vous devrez justifier de soins. Vous avez compris ? Maintenant que le diagnostic est posé, il faut un traitement. Ça ne pose pas de problème.

Younes S. sourit encore quand les policiers lui remettent les menottes avant de le ramener aux geôles.

Offense à la nation

Offense à la nation

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, avril 2025

Samir M., en détention provisoire depuis un mois, est accusé d’avoir porté des coups de couteaux à Henri S., occasionnant trois jours d’incapacité totale de travail (ITT). Devant le président sceptique, le prévenu affirme que les agresseurs sont Henri S. et ses amis.

— J’ai juste commencé à dire : « Vous savez qu’ici en France… » Il a bombé le torse et il m’a dit : « Quoi la France ? » Et ils m’ont frappé à trois. J’ai eu peur de me faire lyncher.

— Et vous auriez été blessé ?

— J’ai pris des coups sur la tête.

— Ah ! des coups qu’on ne voit pas. À cause des cheveux sans doute…

Dans la salle, des gens ricanent.

Henri S. vient bien volontiers témoigner, solidement campée sur ces deux jambes.

— Avec mes amis, on se rendait dans un établissement de nuit. Je vois cet individu sur un banc. Il vient à notre rencontre avec un air menaçant. Il dit : « J’aime pas ici. Je nique la France. » Il est trop près, j’ai porté un coup parce que je me suis senti menacé. La suite a bien montré que j’avais raison.

Une expertise psychiatrique identifie chez Samir M. « une personnalité paranoïaque et un trouble psychiatrique de nature à provoquer une altération du discernement au moment des faits ». Le président poursuit :

— Selon l’experte, ce n’est pas curable, mais un traitement apporterait de l’apaisement. [Au prévenu] Vous saviez que vous étiez malade ? Est-ce que vous suivez des soins actuellement en prison ? Non ? Bon.

La procureure est outrée :

— Le prévenu ne comprend pas pourquoi ce n’est pas la victime qui est dans le box à sa place !

Il faut, selon elle, écarter sa version sans hésiter : le certificat médical réalisé en garde à vue ne signale ni hématomes ni lésions sur Samir M., alors que la victime a eu trois jours d’ITT ; et la vidéosurveillance prouve que ses amis ne sont pas intervenus. Sans compter que son casier judiciaire présente de nombreuses condamnations : outrages, rébellions, violences conjugales. La procureure mobilise à son tour le rapport de la psychiatre :

— L’expertise est inquiétante : elle conclut à une dangerosité criminologique majeure et une dangerosité psychiatrique !

Elle demande un an et trois mois de prison, suivi de neuf mois de sursis probatoire.

L’avocate revient sur le comportement d’Henri S. :

— En croisant un homme qui soliloque dans la rue, la plupart d’entre nous n’auraient rien fait, mais monsieur, lui, estime être dans son droit, il se sent offensé. Il l’a dit lui-même aux policiers : « Je ne peux pas laisser des propos désobligeants sur la France être tenus, alors j’ai donné le premier coup. »

Elle évoque les problèmes de santé de Samir M. :

— Quand sa mère et sa sœur l’ont amené à l’hôpital psychiatrique, on l’a reçu entre deux portes et laissé repartir en disant qu’il n’y avait pas de problème ! Alors que l’expertise dit qu’il lui faut des soins de toute urgence – qui pourraient être mis en place rapidement avec un bracelet électronique !

Il est déclaré coupable. Le tribunal retient l’altération du discernement au moment des faits, ce qui ne l’empêche pas de prononcer un an et demi de prison, suivi de 6 mois de sursis probatoire.