2,84 m² pour préparer sa défense
Paris, 23e chambre du tribunal judiciaire, salle 2, octobre 2022
Gabriel A. est né à la Réunion il y a 45 ans. Trois semaines plus tôt, il a demandé un délai pour préparer sa défense et a été envoyé en détention provisoire à la prison de la Santé. C’est la deuxième fois qu’il fait une demande de mise en liberté devant le tribunal, parce qu’il estime que ses conditions d’incarcération sont indignes.
La démarche est accueillie fraîchement par la présidente :
— La dernière fois, je vous ai déjà précisé que vos conditions de détention ne relèvent pas de notre compétence !
Elle lit néanmoins consciencieusement le rapport envoyé par la directrice adjointe de la prison :
— « Le prévenu occupe avec deux autres personnes une cellule de 8,52 m². Il dort dans le lit du haut. Un de ses codétenus dort sur un matelas par terre. Quand le matelas est installé, il n’est pas possible de circuler dans la cellule. Son codétenu range son matelas le long du mur au moment des repas pour que tous les trois puissent sortir de leur lit. Un de ses codétenus se mutilait de manière superficielle en espérant que ça lui permettrait d’être changé de cellule. »
Sa lecture finie, elle indique qu’il avait été mis en détention provisoire « à cause du risque de réitération et de l’absence de garanties de représentation » : en clair, parce qu’il avait déjà été condamné auparavant pour violence sur un officier de police et qu’il n’a pas de travail.
— Est-ce que la situation a changé ?
— C’est quasi invivable…
— Je vous ai expliqué que ce n’était pas de notre compétence !
— … je n’ai aucun contact avec mes proches, et…
La présidente l’interrompt pour lui faire une démonstration d’éthique professionnelle :
— Je vais donc reprendre tous les éléments de votre dossier, comme je l’ai fait la dernière fois et la précédente, parce que c’est aussi mon travail !
Sous différents alias, il a de nombreuses mentions sur son casier : dégradation, vol, violence, outrage, agression sexuelle, conduite en état d’ivresse, port d’arme blanche. Elle lit l’enquête sociale rapide :
— « Monsieur X. a adopté un comportement adapté pendant l’entretien. Cependant, sa situation est très fragile, il a un suivi psychologique et prend un traitement médicamenteux. Il nous dit loger à Bruxelles avec sa sœur. Il déclare ne plus vouloir revenir en France, parce qu’il a trop de problèmes chaque fois qu’il revient là. Nous l’encourageons à poursuivre les soins psychologiques et lui souhaitons bonne chance pour ses projets. »
Voilà qui est attentionné.
Quand la présidente lui demande s’il a quelque chose à ajouter, il répond qu’il s’est « trouvé dans une situation malencontreuse ». La présidente veut tout de suite l’interrompre :
— Vous nous parlez du fond de l’affaire, là, monsieur !
Mais le prévenu n’en a rien à faire des usages incompréhensibles qui ont cours dans une salle d’audience. Il veut s’expliquer maintenant. La présidente durcit le ton et finit par le faire taire.
— Des questions sur la personnalité ?
L’avocat en a une :
— Vous arrivez à préparer votre défense à la prison de la Santé ?
— Non.
— Vous avez un moment de silence ? Vous pouvez vous mettre à une table pour travailler ?
— Non.
La présidente ne laissera pas dire qu’il est impossible de préparer sa défense en prison. Elle apostrophe le prévenu :
— Est-ce que vous avez vu un avocat ? Non ? Parce que ça aussi ça fait parti de la défense !
[Se tournant vers l’avocat] Et vous ? Est-ce que vous êtes allé le voir ? Non plus ?
Estimant avoir démontré quelque chose, elle invite la procureure à commencer ses réquisitions. Qui tiennent en une phrase :
— En l’absence de nouveaux éléments, je demande le maintien en détention provisoire.
La défense s’avance à la barre :
— Dans les procédures de comparution immédiate, la loi prévoit une possibilité d’obtenir un délai pour préparer sa défense, et il y a des gens assez naïfs pour le croire ! Et ils se retrouvent à trois dans moins de 9 m². Je rappelle que le taux d’occupation de la prison de la Santé est de 159 %. Madame la présidente, soyez concernée par ce qui se passe en maison d’arrêt !
Pour le reste de sa plaidoirie, il tient à revenir sur « les tristes conditions dans lesquelles nous exerçons notre métier ».
— Qu’est-ce que c’est qu’un avocat commis d’office ? C’est souvent quelqu’un qui ne découvre le dossier que le jour de l’audience. Par exemple, j’ai été désigné il y a trois jours. Entre-temps, il faut faire une demande pour obtenir le dossier, que le parquet met plusieurs jours à nous envoyer. Et on n’a pas toujours le temps d’obtenir un permis de visite. Et puis laissez-moi vous dire qu’au prix où on est payé, on n’a pas le temps de passer des après-midi à faire des parloirs dans toutes les prisons d’Île-de-France.
Au nom du respect des droits de la défense, il demande la libération de Gabriel A.
Quand le tribunal revient des délibérations, tous les prévenus passés plus tôt dans l’après midi sont amenés dans le box pour qu’on leur annonce leur peines à la chaîne. Le tour de Gabriel A. arrive :
— Au vue du risque de réitération et de l’absence de garanties de représentation, je rejette la demande de mise en liberté.
Il est emmené aux geôles. Il y passera la fin de la journée avant d’être renvoyé dans les 8,52 m² qu’il partage avec deux autres détenus à la prison de la Santé.