Une question de profil
Toulouse, chambre des comparutions immédiates, février 2023
Les quatre prévenu⋅es comparaissent pour trafic de cocaïne et de cannabis. Dans le box, Amélie, Nahima et Slimane, qui ont été envoyé⋅es en détention provisoire à la fin de leur garde à vue le vendredi précédent. Le quatrième comparaît libre : Dylan, Toulousain de 20 ans, se tient à la barre.
La présidente les interroge tour à tour :
— Acceptez-vous d’être jugé⋅es aujourd’hui ou voulez-vous un délai pour préparer votre défense ?
Slimane est le seul à demander un renvoi, mais la présidente trouve difficile de dissocier les affaires : les quatre prévenu⋅es seront donc jugé⋅es six semaines plus tard.
Le tribunal va-t-il laisser Amélie, Nahima et Slimane en prison en attendant ? Pour en décider, il examine leur casier et leur situation sociale.
Les deux jeunes femmes ont un casier vierge et toutes les garanties de représentation dont la justice peut rêver. Elles habitent chez leurs parents, et font des études tout en travaillant à côté : Amélie est en école d’infirmière, Nahima a commencé une formation de naturopathie.
Slimane, lui, a été condamné en 2014 à des travaux d’intérêt général pour dégradation. Il a fait sa scolarité dans un Institut thérapeutique éducatif et pédagogique, un ITEP. Il est au chômage depuis la fin de son contrat à la SNCF, deux ans plus tôt.
Tout à fait comme d’habitude, le procureur demande leur maintien en détention. Après tout, comme il l’explique, c’est déjà ce qu’avait décidé de faire le juge des libertés et de la détention qui les avait envoyé⋅es à Seysses pendant le week-end. Pour Dylan, entré dans l’armée en 2021, il demande son placement sous contrôle judiciaire.
Pour les quatre prévenu⋅es, le motif est le même : « empêcher le renouvellement des faits » – des faits d’ailleurs « particulièrement rémunérateurs », comme le souligne le perspicace procureur :
— L’argent est le moteur de cette affaire !
On n’a pas retrouvé les drogues – ce qui montre selon lui « une certaine organisation ». Seul le maintien en détention assurerait qu’ils ne recommencent pas immédiatement à vendre de la drogue. À cause de l’« l’appât du gain », répète-t-il.
Et puis il faut également éviter qu’ils se concertent, d’autant que Nahima conteste sa participation aux faits et que Slimane a refusé de s’exprimer devant les enquêteurs.
Les avocats des prévenu⋅es se succèdent à la barre. L’avocat de Dylan explique que le contrôle judiciaire est incompatible avec son contrat militaire :
— Mais son profil permet de lui faire confiance : il a un contrat militaire de 5 ans et il est chez son parrain et sa marraine le week-end. Il sait qu’il risque de tout perdre, de ne pas pouvoir réaliser ses rêves. Et sa hiérarchie a suivi de près cette histoire. J’avais justement son lieutenant au téléphone tout à l’heure. Des sanctions vont être prises par la justice militaire.
L’avocate de Nahima n’est pas contente. Le motif principal du maintien en détention est le risque de renouvellement de l’infraction alors même que sa cliente conteste les faits :
— Or rien dans le dossier ne permet de la relier à l’infraction malgré un an d’enquête !
Elle entreprend de démontrer les lacunes du dossier de police, mais la présidente se lasse :
— Vous nous parlez du fond de l’affaire là, ce sera jugé lors de la prochaine audience !
L’avocate revient à des observations plus classiques pour montrer que sa cliente mérite de la considération : elle a eu un bac général littéraire. Elle a développé une activité de massage, et s’est inscrite à une formation de naturopathie :
— Cette jeune fille est considérée comme un pilier par sa famille qui a d’ailleurs rédigé un courrier pour le tribunal. Elle s’occupe beaucoup de sa jeune sœur et rend régulièrement visite à son oncle qui a un cancer du poumon.
L’avocate d’Amélie se lève à son tour :
— C’est un nouveau type de trafic, qui passe par Snapchat au lieu de se passer en bas des tours. Et c’est un nouveau genre de trafiquants : ils n’ont pas le profil, pas de casier, sont insérés, ont des familles qui tiennent la route. Mais on part aussi vite de ces nouveaux réseaux qu’on y est venu. Ma cliente n’a plus aucun contact, elle ne connaît pas ceux qui sont au-dessus. Elle a arrêté dès janvier, avant la garde à vue. Elle n’a pas attendu que la justice la rattrape.
L’avocat de Slimane « s’en remet à la décision du tribunal pour le maintien en détention » – c’est-à-dire qu’il n’essaye pas de convaincre le tribunal de le laisser libre en attendant le procès. Peut-être parce qu’il sait qu’au chômage, avec un casier, sa situation est de celles que l’institution judiciaire juge suspectes. La seule chose qu’il demande, c’est que la défense ait accès à toutes les pièces du dossier ! Pour le moment il manque des choses, et notamment la retranscription des conversations téléphoniques interceptées et les données de la géolocalisation.
Le dernier mot est laissé aux prévenu⋅es. Nahima se lance :
— J’ai passé 4 jours en garde à vue, c’est-à-dire 96 heures. Je n’ai pas pu me laver, me changer…
La présidente observe froidement que le tribunal « sait ce qu’est une garde à vue ». La jeune femme ne s’interrompt pas :
— … j’ai passé ensuite 2 jours en détention.
— Le tribunal sait aussi ce que c’est que la détention !
— Je n’ai pas du tout ma place là-bas. J’ai besoin d’être auprès de ma famille, d’être auprès de mon oncle.
Amélie est très émue :
— Je vais peut-être avoir besoin de temps…
— On n’a pas beaucoup de temps, grince la présidente.
— Ce n’est pas évident de parler au micro. J’ai eu beaucoup d’émotions, la garde à vue, la prison, c’est très difficile — c’est peut-être le but. Je me suis rendu compte de la gravité de mon acte. Mon emploi, c’est le plus important pour moi aujourd’hui. Je suis une très bonne élève et je veux être une très bonne infirmière. Quand j’ai repris mes esprits en janvier, je me suis rendu compte que ce qui m’intéresse, c’est ma formation.
Le tribunal rend sa décision : Dylan est laissé libre, les deux jeunes femmes sont placées sous contrôle judiciaire – elles devront pointer au commissariat une fois par semaine. Elles rentreront donc chez elles ce soir. En entendant le délibéré, elles se prennent dans les bras et regardent leur proches, dans le public, qui rayonnent de joie et de soulagement.
Slimane, lui, est maintenu en détention. Tous les trois seront ramené⋅es à Seysses à la fin de l’audience : Amélie et Nahima pour y récupérer leurs affaires, Slimane pour y rester enfermé jusqu’au procès.