Toulouse, chambre des comparutions immédiates, novembre 2023
Jonni T. , vingt ans, comparaît pour avoir agressé Arnaud B. Personne ne comprend ce qu’il s’est passé, ni les amis de Arnaud, qui racontent avoir sympathisé avec Jonni et son cousin à la sortie d’une boîte, ni la victime, qui ne se rappelle d’aucune altercation avant l’attaque, ni le prévenu, accablé dans le box :
— Je ne sais pas comment c’est parti.
— Eh bien, c’est inquiétant, ça, monsieur !
— Je sais.
Les deux groupes discutaient tranquillement quand Jonni T. a sorti un cutter de sa poche et porté plusieurs coups à Arnaud. La vidéosurveillance confirme le récit des témoins : il n’y a pas eu de conflit avant. Et le rapport de police est catégorique : il n’était pas sous l’effet de l’alcool ni de produits stupéfiants.
La présidente est embêtée :
— Il faut tout de même trouver une explication. D’ailleurs, pourquoi avez-vous un cutter sur vous ?
— J’ai oublié de le laisser au travail.
Elle montre à ses assesseuses les photos des blessures : deux coups au visage, dont une entaille de 15 cm, et un autre au bras. Elle soupire :
— Et vous n’avez pas d’explication, monsieur.
L’avocate de la partie civile se lève et explique que le père de la victime est là et qu’il aimerait dire quelques mots. La présidente fait la moue :
— On a une audience très chargée, et puis la victime est majeure…
Elle pose son regard sur l’homme en costume, et accepte finalement qu’il vienne témoigner à la barre.
— Cette violence ordinaire, ce n’est pas notre monde. Ma femme et moi, nous travaillons, nos enfants font des études. Notre fils a croisé la monstruosité ordinaire, celle qui vous saute à la gorge. On pourrait dire : « Il a de la chance, il n’est pas mort. » Mais relativiser, c’est le privilège des non-concernés. Cet événement a semé le chaos dans nos vies.
Le prévenu est prostré dans le box. Sa famille, assise dans la salle, ne le quitte pas des yeux. La présidente se tourne à nouveau vers le prévenu :
— Ce qui est déstabilisant, c’est que vous assumez les faits, mais que vous n’apportez aucune réponse. Or pour juger, il faut comprendre.
L’avocate de la défense tente quelque chose :
— Vous m’avez dit que vous vous étiez senti menacé. Pouvez-vous développer ?
La réponse est chuchotée. On comprend cependant que le prévenu estime finalement qu’il n’avait pas de raison de se sentir menacé.
Le procureur trouve de toute façon l’explication fantaisiste :
— Les témoins sont formels, il n’y a pas eu de haussement de voix. Vous vous êtes vraiment senti agressé ?
— Je ne sais pas. [Chuchote encore.] Je ne peux pas vous dire. Ce n’est pas une fierté ce que j’ai fait.
La présidente résume l’enquête sociale rapide :
— Vous n’avez pas d’antécédent. Vous vivez chez votre mère. Vous êtes intérimaire. Vous avez créé une société pour pouvoir faire les marchés. Vous êtes asthmatique et vous n’avez pas d’addiction. Vous êtes sûr que vous n’avez pas de problème particulier ?
Le prévenu fait non de la tête. La magistrate précise sa pensée :
— Vous n’avez jamais fait un suivi psy, par exemple ?
Devant ses dénégations, la présidente passe la parole à l’avocate des parties civiles :
— Toute la famille se constitue partie civile parce que c’est l’intégralité de cette famille qui a été ébranlée. On aurait pu imaginer qu’on allait avoir des réponses à cette audience, mais on n’a aucun début d’explication. La dangerosité de monsieur est certaine. Et la question de la dangerosité psychiatrique peut aussi se poser. Une expertise n’aurait d’ailleurs sans doute pas été de trop.
Pour ce qui est des dommages et intérêts, elle demande un report sur intérêt civil, pour évaluer précisément le préjudice de ses client·es. Bien sûr, en attendant, elle sollicite une provision : 3 000 € pour Arnaud B. ; 1 000 € chacun pour sa mère, son père et son frère ; 200 € de préjudice matériel ; et 1 440 € de frais d’avocat.
Le procureur, qui a le sens de la synthèse, considère que « c’est une soirée qui s’est extrêmement mal terminée ». Il regrette abondamment lui aussi de ne pas avoir plus d’explications. D’autant que les faits sont graves, et que d’après lui le profil du prévenu est inquiétant :
— Jonni T. n’a pas d’antécédent, mais il est déscolarisé depuis la quatrième. Il nous explique qu’il a passé des années sans faire grand-chose, des petits boulots.
Il demande 18 mois de prison, dont 8 mois de sursis probatoire pendant 3 ans, ainsi que le maintien en détention « pour éviter la réitération des faits ».
L’avocate de la défense commence par souligner la jeunesse du prévenu « qui se retrouve devant un tribunal pour la première fois » :
— Il ne sait pas comment ça se passe, il ne sait pas quand c’est son tour de parler. Il n’y a pas d’explication sur ces faits, mais il ne veut pas en inventer, il ne veut pas mentir. Certes, la vidéosurveillance montre qu’il n’y a pas eu d’agitation, mais il n’y a pas de son, on ne peut pas savoir ce que la victime lui a dit. Il y a dû avoir une incompréhension et Jonni T. a eu un sentiment de danger. C’est vrai que c’est une mauvaise appréciation de la situation. C’est vraiment malheureux, mais les plaies ne sont pas profondes, elles ont pu être suturées. Les séquelles physiques ont été évaluées à 5 jours d’ITT seulement.
Pour le reste elle plaide la bonne insertion de son client :
— Il n’a pas de casier, pas un caractère violent. Ce n’est pas un jeune à problèmes. Il a arrêté l’école en quatrième parce que c’est un système dans lequel il ne s’épanouissait pas. Il a trouvé plus de sens dans le fait de travailler que dans les études. Il faut le pousser sur la voie de l’insertion pour lui éviter de se retrouver encore devant vous. Sa mère ou sa grand-mère peuvent l’accueillir chez elles avec un bracelet.
Quand on lui donne la parole à la fin de l’audience, le prévenu s’excuse auprès de la famille d’Arnaud B.
Il est condamné à 3 ans de prison, dont 18 mois de sursis probatoire, soit le double des réquisitions. La présidente tient pourtant à préciser :
— Nous avons pris en compte votre jeune âge et l’absence de casier judiciaire.
Parmi les obligations du sursis probatoire, l’obligation de payer les dommages et intérêts et une injonction de soin :
— Psychologique ou psychiatrique. Ça, c’est vous qui verrez. À votre sortie de prison, je vous engage à réfléchir sérieusement aux raisons de votre passage à l’acte.