« On n’est pas au spectacle »

2 octobre 2024 | Chroniques d’audience

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, mai 2024.

Ridah R. comparaît pour violences sans interruption totale de travail, en récidive légale. Avant d’aborder les faits, le président tient à poser une question préliminaire :

— À la lecture du dossier, je m’interroge : vous n’êtes pas suivi sur le plan psychique ou psychiatrique ?

— Je vais très bien ! Physiquement et mentalement !

Le président répète en souriant « Vous allez très bien… », puis résume le dossier : le prévenu a voulu emprunter un club de golf dans un commerce et s’est énervé devant le refus des employés. Il a alors brandi le club en les menaçant, puis il est parti avec, en laissant une carte de fidélité en gage de bonne foi. Revenu une dizaine de minutes plus tard, il a été interpellé par les forces de l’ordre.

— Et vous avez dit à ce moment-là : « Si je rentre à Seysses, je lui fais cramer son commerce à ce fils de pute. »

— Quand on s’emporte, on dit des conneries. Moi je suis franc, moi je suis un homme, chef.

— Je ne suis pas votre chef !

Le président laisse les rires du public s’éteindre avant de continuer :

— Soit vous vous comportez de manière courtoise, soit vous serez jugé en votre absence. C’est la moindre des choses de se comporter d’une manière courtoise dans une enceinte judiciaire. On vous demande la politesse élémentaire, pas plus.

Il reprend :

— Vous auriez dit à l’employé que vous étiez un tueur à gages ! C’est entre autres pour ça que je m’interroge sur votre santé mentale…

La réponse est confuse, le président ricane :

— C’est sans doute la victime qui a inventé !

— Je peux parler ?

— Maintenant oui.

— Je voulais faire une partie de golf.

— De golf…

Le président jette un regard entendu au public. Le prévenu poursuit :

— Oui, de golf. Pourquoi ça vous choque ? Les policiers aussi, ça les a choqués, chef.

— Vous allez arrêter de m’appeler chef !

Dans la salle, des gens éclatent de rire sous le regard bienveillant du président. Un des assesseurs intervient malgré tout :

— On n’est pas au spectacle.

Le prévenu continue son récit.

— Je lui dis : « C’est une partie et je reviens, je te laisse ma carte. » Il refuse. Je m’emporte un peu, je le traite de grosse merde, d’enfant de putain. C’est vrai que j’avais pas à lui dire ça, surtout que je suis père de famille maintenant. Les policiers voulaient peut-être me prendre parce qu’ils pensent que je gère les jeunes qui fument à côté du commerce. J’ai déconné, je sais. Une peine de bracelet, ça m’arrangerait, pour que je puisse rester avec ma fille.

L’assesseur intervient :

— Le 26 mai 2023, vous avez été interpellé pour refus d’obtempérer. Vous êtes convoqué au début de l’année 2025. Les faits ont été commis à l’aéroport où vous avez insulté un des agents. Vous étiez sous bracelet électronique, mais visiblement ça ne vous a pas dissuadé.

— Le bracelet, ça ne dissuade pas. La prison non plus, ça n’a jamais dissuadé personne.

— Comment on fait alors pour éviter que ça se passe ? Ou bien on accepte de vivre dans ce monde où des gens peuvent en insulter d’autres ?

— Là vous m’avez piégé, je reconnais.

— Vous avez une fille et ça ne vous empêche pas de commettre des infractions.

Le prévenu se tend immédiatement.

— Faut pas trop m’en parler. Elle est pas là.

— J’en parle si je veux. Vous n’êtes pas obligé de répondre aux questions mais j’ai le droit de poser toutes les questions que je veux. Qu’est-ce qu’on fait avec les gens comme vous ?

— C’est vous qui êtes payé pour trouver une solution ! Moi, je vais pas me dégonfler parce que vous voulez m’envoyer à Seysses.

La voix brisée, il le répète à plusieurs reprises.

Le procureur se lève pour ses réquisitions :

— Monsieur fait le cinéma en salle d’audience ! Mais je prends les faits plus au sérieux que lui. Il veut faire du golf, bon, soit. Il demande à emprunter un club. L’employé lui refuse ce qui est normal dans une société où on se respecte les uns les autres. Il s’amuse à lui faire peur, il montre même le couteau dans sa veste.

Le prévenu s’emporte :

— À qui j’ai fait peur ?

Scandalisé par l’interruption, le tribunal le fait rapidement taire. Le procureur reprend :

— 28 ans, 26 mentions : quasiment une par an. On trouve de tout : Violence, filouterie, vol… On se demande quelle infraction il n’a pas commise. Et il se permet de réclamer ! Il nous explique qu’il a un travail et un enfant en bas âge et qu’un bracelet, ça l’arrangerait. Mais pour être à la hauteur de la gravité de l’infraction mais aussi eu égard à sa personnalité, je vais demander une peine mixte : 18 mois, dont 6 de sursis probatoire, avec interdiction de paraître et obligation de travail. Et je demande le maintien en détention pour les 12 mois restants.

L’avocate de la défense considère visiblement que Ridah R. est une cause perdue :

— Monsieur R. a des difficultés de communication, c’est le moins qu’on puisse dire ! Il a d’ailleurs des difficultés tout court. Je vais tout de même essayer de rendre les choses un petit peu moins négatives à son égard. Tout d’abord il n’y a pas d’éléments matériels : c’est la parole de la victime contre la parole du prévenu. Même si, bien sûr, il s’agit de la parole d’un employé qui n’est pas connu des services de police face à celle d’un délinquant. Par ailleurs, même si ça ne saute pas aux yeux tout de suite, il y a dans le dossier des éléments moins négatifs. L’enquête de personnalité indique par exemple qu’il a totalement arrêté de fumer depuis la naissance de sa fille.

Le tribunal se retire délibérer en négligeant de donner la parole au prévenu pour un dernier mot. Quand les magistrats reviennent, le président annonce que Ridah R. est condamné à un an de prison sans aménagement avec interdiction de contact, de paraître et de port d’armes.

— Voilà.

— Je peux vous poser une question ?

— Non.

— Mais il va se passer quoi, là ?

— J’ai écarté les possibilités d’aménagement ab initio. Vous allez en prison. Allez, au revoir monsieur.

Le prévenu explose. La sécurité l’emporte vers les geôles pendant qu’il insulte le tribunal.

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