« Ici, on essaie de comprendre »

26 avril 2023 | Chroniques d’audience

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, avril 2023

En arrivant dans le box, Enzo, à peine 18 ans, sourit nerveusement à ses proches qui sont assis dans la salle. Il comparaît pour avoir tenté de mettre le feu à une poubelle pendant une manifestation.

Quand on lui demande s’il est d’accord pour être jugé aujourd’hui ou s’il demande un renvoi pour préparer sa défense, il s’accoude au plexiglas et regarde, dubitatif, son avocat. La présidente n’apprécie pas le laisser-aller :

— Tenez-vous correctement ! Nous ne sommes pas au bar du coin, nous sommes au tribunal.

Avant de résumer l’affaire, la présidente a une remarque :

— Nous sommes là pour juger les faits qui se sont déroulés pendant la manifestation, pas pour juger les opinions politiques. Il ne s’agit pas de sanctionner le droit constitutif de manifester et la liberté d’expression. Ce n’est pas le tribunal de la pensée.

Enzo croit qu’il peut dire quelque chose, mais se fait remettre à sa place :

— Vous ne prendrez la parole que quand je vous l’indiquerai. Et tenez-vous bien !

Comme toujours pour les procès de manifestants, elle cite le procès-verbal de contexte fourni par la police. Celui-ci donne, selon elle, les informations objectives sur la manifestation :

— Les policiers ont noté très précisément l’heure où la manifestation commence à dégénérer : 16 h 01. C’est là qu’il y a eu des dégradations filmées que les citoyens ont pu regarder depuis leur télévision. Que certaines personnes ne se dispersent pas, c’est leur droit. Mais les manifestants qui ne veulent pas cautionner ce qui se passe après, eux, se dispersent. Les premières interpellations ont eu lieu à 17 h 30. Ce qui veut dire que les policiers ont laissé aux gens une heure et demie pour s’en aller tranquillement.

Le saccage d’abribus l’indigne tout particulièrement :

— Le citoyen qui n’a pas envie de prendre son véhicule ou même celui qui n’a pas les moyens d’avoir un véhicule ne peut plus prendre les transports ! La personne qui veut juste se mettre à l’abri du mauvais temps ne peut plus le faire.

Pour ce qui est de l’affaire qu’elle doit concrètement juger, elle précise que le prévenu s’est laissé interpeller sans difficulté et que les ordures n’ont pas eu le temps de prendre feu. Le briquet a été saisi.

— Vous comprenez bien, monsieur, qu’entre manifester et mettre le feu, on est dans deux registres différents.

Elle jette un regard entendu à la salle : « Et ça, il faut que tout le monde l’entende ! »

Le prévenu ne sait plus trop quand c’est son tour de parler. La présidente l’encourage : « Soyez spontané, monsieur ! »

Enzo raconte s’être fait charger et gazer dans l’après-midi – il n’a pas su comment réagir à cette situation. La présidente l’interrompt :

— Des banques et des agences immobilières ont été attaquées. C’est parce qu’il y a eu de la casse qu’il y a eu une réponse armée de la police. Personne ne peut dire : « J’ai juste manifesté, et j’ai été violenté par la police. »

Le prévenu veut répondre, s’étrangle, explique : « C’est le stress », et se fait à nouveau couper la parole par la présidente :

— Au moment de l’action, qu’est-ce que vous voyez autour de vous ?

— Il n’y avait rien autour de moi, juste un type qui m’a tendu un briquet et qui m’a demandé de mettre le feu à une poubelle. Mais j’ai refusé.

— Ce n’est pas ce que vous avez déclaré en garde à vue.

— Non, mais c’est…

— Attendez, monsieur ! Je fais état publiquement des éléments. Le tribunal est par ailleurs très sensible au changement de version entre la garde à vue et l’audience.

— Je conteste…

— Vous l’avez dit et signé !

— À ce moment-là, j’aurais pu dire n’importe quoi.

— Les faits qu’on vous reproche n’ont rien à voir avec une vraie manifestation. Ici, on essaie de comprendre. Bon, on va passer maintenant à votre personnalité. Vous avez été placé dans un foyer par l’aide sociale à l’enfance. Pourquoi ?

Enzo évoque timidement des « problèmes familiaux ».

— Vous avez un niveau terminale et vous travaillez avec la mission locale. Vous avez su saisir votre chance, ce qui dénote une intelligence de la situation. Il n’y a rien à redire à votre personnalité. Vous présentez un profil positif d’insertion sociale et scolaire malgré des difficultés familiales. Cependant, vous avez une mention de violence sur ascendant pour laquelle vous avez reçu un avertissement judiciaire.

Voilà qui semble lui donner à penser :

— Là encore, de la violence, ce n’est pas anodin.

Faisant visiblement le lien entre ce feu de poubelle raté et des événements familiaux dont elle n’a aucune idée, elle interroge abruptement Enzo sur son rapport à la violence. Le garçon répond avec hésitation :

— C’est une chose sur laquelle je travaille… Mais je ne peux pas vous en parler ici en cinq minutes.

La parole est au parquet pour ses réquisitions. Le procureur a tout d’abord une pensée pour « les habitants qui n’ont plus d’endroit où mettre leurs déchets ». Pour lui, les faits sont établis : la déclaration d’Enzo en garde à vue correspond point par point à celle du policier interpellateur.

— Et puis on retrouve effectivement un briquet sur sa personne ! Les fait sont graves, les feux de poubelle dégagent une chaleur importante, ils peuvent occasionner des blessures ou mettre le feu à une façade. C’est particulièrement dangereux.

Il estime cependant qu’il n’y a pas d’éléments de personnalité inquiétants et demande six mois avec sursis probatoire et cent heures de travaux d’intérêt général, une obligation de travail ou de formation et un stage de citoyenneté. Et bien sûr la confiscation des scellés – à savoir le briquet.

C’est au tour de l’avocat de la défense :

— Je plaide la relaxe.

Le reste est moins clair. Il soulève un problème de procédure : il manque la mention de certains articles de loi sur la convocation. Mais la présidente lui rappelle que les nullités se plaident en début d’audience. Il disserte ensuite longuement sur la présence ou non de caméras dans certaines rues de Toulouse.

— En l’absence de caméra, il y a un doute ! Et s’il y a un doute, il doit bénéficier à mon client. C’est un garçon intelligent qui répond à vos questions, certes un peu vite. Mais c’est surtout un jeune vulnérable.

Le dernier mot à l’accusé :

— Merci aux gens présents et merci au tribunal de prendre ma parole en compte.

Le tribunal déclare Enzo coupable. Il est condamné à trois mois avec sursis, un stage de citoyenneté à ses frais, avec exécution provisoire.

Se trouvant incroyablement indulgente, la présidente avertit Enzo :

— Il ne faut pas que vous sortiez en vous disant : « Je n’ai rien. » Pendant cinq ans, vous avez trois mois au-dessus de la tête. Le stage de citoyenneté peut vous aiguiller et constituer un apprentissage intéressant de ce qu’est être un citoyen et de ce que chacun a le droit ou pas de faire.

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