« Ce n’est pas comme ça que ça se passe »

6 février 2024 | Chroniques d’audience

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, septembre 2023

Majid C. a obligé sous la menace deux personnes à retirer de l’argent au distributeur, 100 € pour le premier, 250 € pour le second. On lui reproche aussi l’usage de cannabis.

— Vous comparaissez dans une procédure d’urgence. Voulez-vous un délai pour préparer votre défense ou acceptez-vous d’être jugé aujourd’hui ?

— Non.

La réponse est peu audible et le prévenu n’a pas l’air très bien. La présidente reformule :

— Vous voulez un délai, c’est ça ?

— Oui.

— Bon. Le tribunal va donc décider s’il vous envoie en détention provisoire. Vous êtes sorti de prison le 8 juin dernier. Vous êtes hébergé chez votre mère et chez votre sœur. Vous avez arrêté l’école en troisième, vous avez obtenu un diplôme espaces verts en prison. Vous recevez l’allocation adulte handicapé.

Il a 29 mentions sur son casier : menace de mort, violences, abus de faiblesse et usages de stupéfiants.

— Vous êtes suivi à l’hôpital La Grave pour des troubles psychiatriques. Vous recevez une injection mensuelle. Vous n’êtes pas allé au dernier rendez-vous. [Elle relève la tête du dossier et le regarde d’un air mécontent] Pourquoi avez-vous manqué ce rendez-vous très important ?

— C’était le jour de l’interpellation.

Un peu embêtée, la présidente change de sujet :

— Avez-vous cherché un travail dans les espaces verts ?

— Je suis inscrit à Pôle emploi. Je suis une personne malade, c’est très très difficile.

— Votre dernière peine de prison était de 5 ans et vous avez été changé à plusieurs reprises de prison. C’étaient des transferts disciplinaires ?

— Non. C’était pour me protéger. J’étais en grave danger avec des détenus.

L’avocate prend la parole pour demander qu’une expertise psychiatrique soit faite pendant le délai :

— Mon client est un psychotique chronique. D’ailleurs le médecin qui l’a rencontré en garde à vue a préconisé une expertise, mais personne n’était disponible. On ne peut pas passer outre cette difficulté. Pour ce qui est des mesures de sûreté, je vous demande de ne pas l’incarcérer. Si vous le laissez libre avec un contrôle judiciaire, il ira tout simplement s’installer chez sa mère.

La procureure reconnaît qu’il serait intéressant de disposer d’une expertise (« Vu qu’il demande un délai, autant en profiter ! »), mais, psychotique ou pas, au vu de son casier, elle demande que Majid C. soit placé en détention provisoire.

Avant qu’elle se retire délibérer avec ses deux assesseurs, la présidente lui demande s’il veut ajouter quelque chose :

— Si vous me laissez libre, je ne vais pas aller chez ma sœur ni chez ma mère. Je vais aller directement à l’hôpital. J’ai besoin de me reposer, d’arrêter de me couper les bras.

Il fait le geste de se scarifier en même temps.

La présidente le coupe :

— Ce n’est pas comme ça que ça se passe. C’est un médecin qui peut vous faire hospitaliser.

Après une courte suspension d’audience, une expertise psychiatrique est ordonnée et Majid C. est envoyé en prison en attendant son procès.

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