Aux bons soins de la justice

18 octobre 2022 | Chroniques d’audience

Toulouse, chambre des comparutions immédiates, septembre 2022

C’est la rentrée, la salle est remplie d’élégant⋅es étudiant⋅es en droit qui discutent orientation : « Et tu as pris quoi comme option ? »

Mohamed H., 42 ans, est amené dans le box. Un jour d’août, il a menacé plusieurs personnes avec un couteau. Il est en détention provisoire depuis plus d’un mois, le procès ayant été renvoyé d’office faute d’expertise psychiatrique.

La présidente demande au prévenu pourquoi il a menacé une dame croisée dans le métro.

— C’est ces gens qui attaquent les personnes vulnérables, des gens qui viennent de l’Est.

Murmures scandalisés du côté des étudiant⋅es, tandis qu’il continue fébrilement ses explications :

— Si j’ai sorti un couteau, c’est pour lui faire peur, parce que je me sentais en danger !

— Mais comment cette jeune femme, qui ne vous connaît même pas, pourrait représenter un danger pour vous ?

— Pas cette dame mais les deux personnes qui arrivaient derrière elle. Ils me visaient. Mais je l’ai pas touchée.

Il le répète avec force : « Je l’ai pas touchée. »

— Le même jour, il y a eu un autre incident. Vous vous êtes arrêté devant deux jeunes femmes assises à un café. Vous avez échangé des mots et le ton est rapidement monté. Là aussi vous sortez un couteau. Deux serveurs et deux clients interviennent.

— Je travaille dans le bâtiment, c’est un couteau pour manger des sandwichs, pas pour agresser les gens. J’ai sorti le couteau quand les deux grands costauds sont arrivés. J’avais peur, ils me menaçaient.

Les personnes qui sont intervenues l’ont ensuite poursuivi, arrêté et ont appelé la police, non sans l’avoir tabassé au passage, sans doute emportés par l’héroïsme.

La présidente lit l’expertise enfin arrivée. Mohamed H. est atteint de psychose chronique et souffre de délires hallucinatoires de persécution. Il est suivi depuis très longtemps par un psychiatre et prend un traitement neuroleptique. L’expertise conclut à l’abolition du discernement : le prévenu n’est pas responsable pénalement. En revanche elle n’estime pas qu’une hospitalisation forcée soit nécessaire du moment qu’il recommence son traitement.

Celui-ci a été interrompu deux mois auparavant, quand Mohamed H. s’est installé à Toulouse pour le travail. Il explique ne pas avoir pu se procurer des médicaments :

— Je suis allé trois fois en août aux urgences psychiatriques, à côté du commissariat. Il n’y avait pas de psychiatre, il fallait attendre un mois et demi pour avoir un rendez-vous !

La présidente le rassure vertueusement : « Il n’y a pas de honte à subir des problèmes psychologiques. »

— J’ai aucune honte !

La procureure ne conteste pas l’abolition du discernement et l’irresponsabilité pénale de Mohamed H. – mais trouve apparemment que c’est quand même un petit peu de sa faute :

— Vous êtes malade : il ne faut jamais jamais JAMAIS arrêter votre traitement. Si vous avez besoin de soins et de médicaments, il faut que vous les preniez.

Ses excellents conseils prodigués, elle réclame une hospitalisation d’office :

— Il serait irresponsable de laisser monsieur partir libre.

Même si elle reconnaît que, selon l’expert, son état ne l’exige pas du moment qu’il est pris en charge à la sortie de prison et qu’il voit un⋅e psychiatre.

— Mais l’hospitalisation sous contrainte m’apparaît in-dis-pen-sable : sa dangerosité est avérée et évidente et son casier judiciaire porte la trace de nombreuses violences. Sans compter que cette mesure garantira la continuité des soins.

Encore un qu’on enferme pour son bien.

Expertise à l’appui, l’avocate bataille contre l’hospitalisation d’office :

— Le traitement est suffisant pour juguler son comportement et le faire se comporter de manière quasi normale, quasi adaptée.

Elle rappelle aussi qu’il est suivi depuis de nombreuses années et qu’il a tenté à plusieurs reprises de prendre rendez-vous avec un psychiatre avant sa crise d’août.

— Or, dans ce genre de situation, on sait comme l’adhésion aux soins est importante. Et il est entouré par sa famille, notamment par sa sœur qui fera en sorte qu’il respecte ses obligations.

Il est déclaré coupable, mais pénalement irresponsable en raison de ses troubles mentaux — ce qui ne l’exonère pas de payer 1 500 € en réparation du préjudice moral à la femme agressée dans le métro, qui s’est constituée partie civile.

En outre, la présidente ordonne l’hospitalisation d’office :

— Cela ne doit pas être pris comme une sanction. Cette mesure permet de protéger la société et aussi de s’assurer qu’il n’aggrave pas son cas et qu’il bénéficie d’un traitement.

Le prévenu hoche la tête d’un air triste et résigné.

Dans la salle, les conversations reprennent joyeusement : « Et alors, la licence 2 ? »

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